Barack et Michelle Obama, à la fin du dernier discours présidentiel, le 10 janvier. | Charles Rex Arbogast / AP

En annonçant, mardi 17 janvier, qu’il commuait la peine de prison de la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, Barack Obama a réussi un tour de force : s’attirer les « remerciements sincères » d’Edward Snowden, le lanceur d’alerte qui a révélé l’existence des programmes de surveillance de masse de la NSA, l’Agence nationale de la sécurité américaine.

L’événement est d’autant plus remarquable que l’administration Obama a été, de loin, la plus sévère envers les lanceurs d’alerte de l’histoire des Etats-Unis, avec des poursuites engagées contre une dizaine de personnes ayant transmis des documents à la presse. Mais plus que le nombre de poursuites, c’est surtout leur nature qui a valu au président sortant de virulentes critiques : Chelsea Manning, comme Edward Snowden ou son prédécesseur Thomas Drake, ont tous été inculpés sous le régime de l’Espionage Act, une loi particulièrement sévère conçue, comme son nom l’indique, pour poursuivre les faits d’espionnage.

Adoptée en 1917, cette loi prévoit notamment que le fait de révéler des documents confidentiels dans l’intérêt public ne constitue pas une défense acceptable, et son usage revient donc à nier le concept même de « lanceur d’alerte ». Edward Snowden n’a jamais contesté avoir agi illégalement – mais a toujours expliqué avoir agi pour l’intérêt général, et pour Amnesty International, qui a mené plusieurs campagnes demandant la grâce de Chelsea Manning et d’Edward Snowden, c’est « un texte dépassé et inadapté au contexte » de ces dossiers. De nombreux militants des droits civiques et ONG appellent depuis des années à l’abrogation de cette loi.

Une action symbolique mais limitée

A trois jours de la fin de son mandat, Barack Obama a-t-il décidé, comme le formule le magazine spécialisé Wired, d’un « cessez-le-feu dans sa guerre contre les lanceurs d’alerte » ? Pour beaucoup de militants défendant les lanceurs d’alerte, la clémence accordée à Chelsea Manning est un pas dans la bonne direction, mais intervient trop tard, et représente encore trop peu. « La guerre contre les lanceurs d’alerte devrait s’achever maintenant et ne pas se poursuivre sous la prochaine présidence », ont regretté les avocats de WikiLeaks dans un communiqué.

Donald Trump, et le parti républicain de manière générale, ont traditionnellement défendu des sanctions très dures contre les lanceurs d’alerte, notamment dans l’armée et les services de renseignement – mais certains élus républicains ont changé d’avis après la publication par WikiLeaks de documents internes du Parti démocrate. L’ancienne candidate à la vice-présidence Sarah Palin, dont des e-mails avaient été publiés par WikiLeaks en 2008 et qui avait qualifié Julian Assange d’« agent antiaméricain qui a du sang sur les mains », a même présenté ses excuses à Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, le remerciant d’avoir « ouvert les yeux du peuple américain » sur le Parti démocrate.

Pouvoirs des services de renseignement renforcés

Surtout, les défenseurs des libertés individuelles considèrent que Barack Obama a refusé de tirer les enseignements des révélations de Thomas Drake, Edward Snowden ou Chelsea Manning. Après la révélation de l’existence des programmes de surveillance du Web de la NSA, le président a bien fait passer une réforme du renseignement, mais cette dernière est jugée très largement insuffisante par les défenseurs de la vie privée. Et quelques jours avant de commuer la sentence de Chelsea Manning, Barack Obama a, une nouvelle fois, étendu les pouvoirs des agences de renseignement, en autorisant la NSA à partager davantage d’informations avec les seize autres agences américaines.

Ce 17 janvier, le président sortant a aussi fait preuve de clémence envers un autre « lanceur d’alerte », au parcours plus discret que celui de Chelsea Manning. James Cartwright, un général à la retraite de l’armée américaine. M. Cartwright avait parlé à des journalistes de l’existence d’un programme secret de surveillance du nucléaire iranien, et avait ensuite menti à une commission d’enquête fédérale sur les fuites concernant ce programme. Il avait finalement plaidé coupable, reconnaissant avoir parlé à des journalistes, mais expliquant qu’il avait simplement tenté de convaincre les journalistes de ne pas publier leurs informations sur ce dossier.

Selon le New York Times, Barack Obama a pris sa décision en partie en raison des explications de M. Cartwright, et en partie parce que l’un des journalistes ayant révélé l’existence du programme lui avait écrit pour confirmer qu’il connaissait l’existence du dossier avant de parler au général. Ce dernier risquait une peine légère - quelques centaines d’heures de travaux d’intérêt général - et devait connaître sa condamnation courant janvier. Contrairement à Chelsea Manning, dont la peine a été commuée, il a bénéficié d’une grâce complète. Mais M. Cartwright n’était pas non plus n’importe quel général : membre du conseil de sécurité nationale lors du premier mandat Obama, il était réputé être « le général préféré du président ».