Comment un détenu, mis en examen dans un dossier terroriste, peut-il être incarcéré illégalement pendant une journée, libéré précipitamment après la découverte de la bévue, interpellé dans la foulée pour recel de téléphones et finalement relaxé ? C’est l’étrange parcours carcéral de Mohamed Aberouz, 23 ans, dont les avocats ont porté plainte, mardi 17 janvier, pour « atteinte à la liberté individuelle », et qui a été jugé le même jour pour « recel » de téléphones en détention.

Mohamed Aberouz est bien mal entouré. Il est le frère de Charaf-Din Aberouz, qui a été mis en examen dans l’enquête sur le meurtre d’un couple de policiers à Magnanville (Yvelines), commis le 13 juin par Larossi Abballa. Il est surtout le fiancé virtuel – ils ne se sont jamais rencontrés – de Sarah Hervouët, qui a poignardé un policier à Boussy-Saint-Antoine (Essonne), le 8 septembre, en compagnie de deux autres femmes.

C’est dans le cadre de ce second dossier que Mohamed Aberouz a été incarcéré. Mais les enquêteurs n’ont pu établir sa complicité dans ce projet d’attentat : il a été mis en examen le 12 septembre pour « non-dénonciation de crime terroriste », un simple délit de droit commun créé par la loi du 3 juin 2016. Son mandat de dépôt arrivait donc à échéance au bout de quatre mois – au lieu des six prévus pour les infractions terroristes – soit le 12 janvier à minuit.

Or, le 13 janvier, Mohamed Aberouz était toujours incarcéré à la maison d’arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine), le juge chargé d’instruire le dossier ayant oublié d’ordonner sa remise en liberté. La justice et l’administration pénitentiaire étaient en effet convaincues que la durée de sa détention provisoire était de « six mois », comme en atteste sa fiche pénale.

Les conseils de Mohamed Aberouz, Me Bruno Vinay et Vincent Brengarth, se rendent donc le 13 janvier dans le bureau du magistrat pour lui faire constater son erreur. A 17 h 23, le juge faxe à la maison d’arrêt de Nanterre une ordonnance demandant la remise en liberté « sur-le-champ » du détenu, précisant que sa détention « est expirée ». Mohamed Aberouz est alors incarcéré arbitrairement depuis plus de dix-sept heures.

Fouille intégrale

Au lieu de le libérer « sur-le-champ », l’administration pénitentiaire procède deux heures plus tard à une fouille de ses effets personnels et de sa cellule. Une procédure prévue pour certains détenus sensibles, que les avocats considèrent illégale et interprètent comme une manœuvre pour empêcher la libération imminente de leur client.

« Alors que M. Mohamed Lamine Aberouz était détenu arbitrairement depuis minuit et que, plus encore, le magistrat avait ordonné sa mise en liberté sur-le-champ à 17 h 23 (…), il était curieusement procédé à une fouille intégrale sur la personne de M. Aberouz et de ses effets personnels à 19 h 15. Cette fouille (…) aboutissait, de manière plus extraordinaire encore, à la découverte de deux téléphones » dans sa cellule, écrivent-ils dans leur plainte.

A 20 h 45, tandis qu’il est sur le point d’être libéré et procède aux formalités de sortie, Mohamed Aberouz est interpellé au greffe de la maison d’arrêt, menotté et placé en garde à vue, tout comme son codétenu, un trafiquant de stupéfiants. Les deux hommes nient être les propriétaires des deux téléphones Samsung retrouvés dans leur cellule.

Aucune puce téléphonique n’a été retrouvée durant la fouille, et aucune analyse d’empreintes papillaires ou génétiques ne sera réalisée sur les boîtiers. Les deux téléphones ayant « été placés ensemble dans un même sachet non fermé par les agents pénitentiaires », ils n’ont pas fait l’objet « des mesures conservatoires adéquates les préservant de toute pollution extérieure », explique sur procès-verbal un agent de police judiciaire.

A la différence de son codétenu, qui bénéficiera d’un classement sans suite, l’infraction étant « insuffisamment caractérisée », Mohamed Aberouz a été jugé en comparution immédiate à Nanterre, mardi 17 janvier, pour le recel des téléphones. Le parquet a requis huit mois de prison ferme. Ses avocats ont plaidé la relaxe et la nullité de la fouille.

Ils ont en partie été entendus : le tribunal n’a pas statué sur la légalité de la fouille, mais leur client a été relaxé au bénéfice du doute en raison de l’impossibilité d’exploiter les empreintes sur les scellés et de l’absence d’analyse des données téléphoniques. Mohamed Aberouz est sorti libre du tribunal.