Ce fut sans doute la nuit la plus longue de l’histoire de la Gambie, plus petit pays de l’Afrique de l’Ouest enserré dans le Sénégal et dirigé d’une main de fer par l’autocrate Yahya Jammeh depuis vingt-deux ans. Mercredi soir 18 janvier marquait à la fois la fin officielle du mandat du président sortant, qui s’accroche au pouvoir, et la veille de l’investiture prévue du président élu le 1er décembre 2016, Adama Barrow.

Pour ceux des Gambiens qui avaient choisi de rester au pays, c’est dans la douleur qu’il a fallu attendre minuit, heure à partir de laquelle les troupes de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) avaient affirmé être prêtes à intervenir pour contraindre le président Yahya Jammeh à lâcher le pouvoir.

Il est 20 heures à Serrekunda, dans le quartier de Kairaba Avenue. Une partie de la population a fui. Les grands axes sont vides, les commerces fermés. Chacun s’attend au pire, terré chez soi. Dans le creux de cette cité balnéaire langoureuse vidée de presque toute sa substance humaine, connue pour son fameux Parc des singes, trois jeunes gens se tiennent dans la cour déserte de la maison des Diallo en attendant l’heure fatidique.

« Nous sommes restés pour garder la maison. Suite aux départs massifs du pays, plusieurs maisons et commerces ont été vandalisés par des malfrats sans foi ni loi », lâche Abdoul, 25 ans, l’aîné des garçons. « Ce sont surtout des mercenaires recrutés par Yahya Jammeh qui commettent ces actes. Ils ne comprennent aucune langue locale et sont bizarres dans leurs accoutrements, ajoute doctement Moussa, 17 ans, le plus petit. Hier soir, on les a aperçus vandaliser des boutiques à Serrekunda. Ils sont tous postés à Jaimes Island, dans la ville de Bara. »

« Tout ça à cause d’un seul homme assoiffé de pouvoir »

Les frères Diallo s’affairent autour du thé pour, disent-ils, noyer le stress. « Nous sommes une vingtaine de personnes dans cette maison mais les autres sont partis au Sénégal en début de semaine », confie l’autre frère, Moustapha, 22 ans, étudiant à l’université de Banjul.

Il ne cesse de regarder l’horloge de son portable. Et partage son angoisse : « Il est 23 heures, les gars, et aucune information ne filtre de la rencontre de la dernière chance entre le président Jammeh et le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz. » Un silence, avant que la discussion ne reprenne. « Tout ça à cause d’un seul homme assoiffé de pouvoir, maudit soit-il ! », lance Abdoul, qui commence à spéculer sur la suite des événements. « C’est l’aéroport de Yudum qui sera occupé le premier par les forces de la Cédéao. Ensuite, les militaires tenteront de délocaliser Yahya Jammeh à la State House. Il faut que l’intervention soit rapide, mais, si les gens laissent Jammeh faire, beaucoup de civils vont mourir », dit-il avec angoisse.

Une nouvelle sur les réseaux sociaux, soudain, leur redonne espoir. Dans la soirée, le chef de l’armée gambienne, le général Ousman Badjie, aurait déclaré à des ressortissants étrangers que ses hommes ne se battraient pas si les troupes africaines intervenaient dans son pays. « Nous n’allons pas nous impliquer militairement. Ceci est une dispute politique, aurait-il affirmé. Je ne vais pas impliquer mes soldats dans un combat stupide. J’aime mes hommes. » Pour l’heure, impossible de vérifier si ce général, qui a déjà tourné plusieurs fois sa veste, a vraiment fait ces déclarations.

A minuit, il ne se passe rien. Aucun coup de feu, aucun mouvement en ville. Aucune goutte de thé non plus n’a pu être bue, la peur ayant noué les gorges. Les frères Diallo barricadent le portail de la maison et regagnent le salon. Ils passeront la nuit, comme beaucoup de Gambiens, sur Internet.

Gambie : Adama Barrow sera-t-il investi président le 19 janvier ?
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