Dimanche 15 janvier dans la matinée, quelques dizaines de militants salafistes, hommes à la barbe taillée à la mode rigoriste et femmes en voile intégral, se sont brièvement rassemblées devant le Parlement, à Rabat, pour dénoncer « l’interdiction du niqab » émise par les autorités et en exiger l’annulation.

Le même jour, un sit-in s’est également tenu dans la ville de M’diq (nord), où les salafistes ont pris l’habitude de faire étalage de leur nombre ces dernières années. Leur cri de ralliement détourne des slogans du « printemps arabe » : « Le peuple veut la liberté [de porter] le niqab ! »

أبناء المضيق يتحدون الداخلية .. الشعب يريد حرية النقاب
Durée : 01:04
Images : Youtube

Tout est parti d’une circulaire diffusée le 8 janvier par le ministère de l’intérieur à ses agents territoriaux – les pachas – leur enjoignant de transmettre aux commerçants « l’interdiction de la confection et de la vente de la burqa », un type de voile islamique intégral.

Sit-in salafiste à Rabat

Dans la capitale, le rassemblement, peu suivi, a tourné court quand des policiers en uniforme ont exigé des manifestants de se disperser, les repoussant vers les arcades de l’avenue Mohammed-V. « Nous sommes dans un pays islamique. Gare à ceux qui veulent éveiller la discorde ! », a mis en garde un militant.

S’adressant séparément aux journalistes femmes présentes, une dame voilée dénonçait aussi l’interdiction en répétant la formule : « Allah nous suffit, il est notre meilleur garant », la prière rituelle qui est faite dans les situations d’injustice. « Qu’ils le veuillent ou non, le niqab restera, car c’est une obligation religieuse », tonne-t-elle vêtue d’un djilbab, un vêtement ample popularisé en Arabie saoudite, qui ne cache pas le visage mais couvre tout le corps. Le niqab, à proprement parler, est le petit voile que l’on rajoute à l’ensemble pour cacher le visage, ne laissant apparaître que les yeux.

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La burqa, quant à elle, imposé par les talibans en Afghanistan dans les années 1990, est devenue le symbole de l’oppression des femmes. Souvent bleue, elle se présente sous la forme d’une large pièce de tissu ample qui couvre entièrement le corps et d’une grille qui cache complètement le regard, une tenue extrêmement rare au Maroc. Dans les faits, l’interdiction a été notifiée à des commerçants vendant des niqabs, un autre type de voile islamique, plus courant dans les rues marocaines.

Ambiguïté sur la portée de l’interdiction

« Burqa » est pourtant le terme utilisé dans une note écrite signée par le pacha de Taroudant (sud) à l’adresse de commerçants de vêtements islamiques de la ville, publiée par le quotidien arabophone Akhbar Al-Yaoum (proche des islamistes du Parti de la justice et du développement, PJD), le 9 janvier.

« Nous avons pris la mesure d’interdire totalement l’importation, la fabrication et la commercialisation de ce vêtement dans toutes les villes et localités du royaume », a confirmé un « responsable de haut rang au ministère de l’intérieur » au journal en ligne le360.ma. Des sources sécuritaires anonymes se sont relayées dans les médias pour expliquer que le voile intégral a été utilisé dans le passé récent par des criminels souhaitant se dissimuler.

Souvent noir et couvrant également le visage, à l’exception des yeux, le niqab est parfois accompagné de gants ou de lunettes noires. Ce voile intégral est populaire parmi les salafistes les plus rigoristes. C’est d’ailleurs le niqab qui était visé par la loi française « interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public », adoptée en 2010. Cette interdiction française sert de marqueur dans le débat en cours, et revient régulièrement dans les discours djihadistes.

Même si elle ne vise pas pour l’instant à prohiber le port du voile intégral, la mesure surprend dans un royaume qui n’a jamais renoncé à faire de l’islam la religion d’Etat. En août 2016, le roi Mohammed VI, qui porte le titre de commandeur des croyants, a plaidé pour un « front commun pour contrecarrer le fanatisme, la haine et le repli sur soi sous toutes les formes ».

L’ambiguïté autour de la portée de l’interdiction enflamme les milieux salafistes, très organisés autour de cheikhs médiatiques. Car, pour faire simple, soit elle vise uniquement la burqa, qui ne concerne quasiment personne au Maroc, soit elle englobe aussi le niqab, tenue minoritaire mais répandue dans les quartiers populaires.

Débat sur les réseaux sociaux

L’un de ces cheikhs influents est Hassan Kettani qui descend d’une lignée illustre de docteurs de la foi. Il a été détenu après les attentats du 16 mai 2003 et condamné à vingt années de prison en tant que chef idéologique de la salafiya jihadiya. Gracié par Mohammed VI en 2012, il est aujourd’hui l’un des fers de lance de la résistance à l’interdiction de « l’habit conforme à la charia », comme il le qualifie.

Sur son compte Twitter qui compte près de 15 000 suiveurs, il relaie un appel signé par une quarantaine de théologiens opposés à « l’interdiction du niqab » et ne se prive pas de dénoncer le mutisme des « autres mouvements islamiques ». Le PJD, dont le chef, Abdelilah Benkirane, peine à former une majorité depuis plus de trois mois, n’a pas réagi à la polémique.

La mesure paraît en revanche satisfaire certains internautes qui soutiennent parfois l’interdiction du bout des lèvres ou choisissent l’ironie :

La circulaire interdisant la vente et la confection de burqas au Maroc donnait quarante-huit heures aux commerçants pour s’y conformer sous peine de confiscation. Aucune résistance n’a été rapportée par la presse locale et les niqabs sont difficiles à trouver dans le commerce.

L’argument sécuritaire avancé par les autorités n’est pas propre au Maroc. En Tunisie, une proposition de loi interdisant le niqab dans les lieux publics a été déposée par des élus en mars 2016, juste après un attentat terroriste à Ben Gardane, mais elle n’a pas été adoptée. Pourtant, selon un sondage réalisé par l’agence Sigma le même mois, 93 % des Tunisiens se disaient opposés au port du niqab dans l’espace public.