Bruno Cautrès est chercheur au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po) et responsable du baromètre de la confiance politique.

Vous venez de publier l’édition 2017 du baromètre de la confiance politique. Les Français sont apparemment toujours aussi fâchés avec leur système politique…

En effet. Nous ne sommes pourtant qu’à cent jours de l’élection présidentielle et celle-ci intéresse les gens. La primaire de la droite a été un succès et certains candidats attirent beaucoup de monde dans leurs meetings. Cependant, nous constatons une très forte défiance des Français vis-à-vis de leur système politique. Le message qu’ils adressent à leurs représentants, c’est « on ne vous aime pas ».

Par exemple, 89 % des personnes interrogées dans le baromètre estiment que les élus ne se préoccupent pas de ce qu’elles pensent. Sept sur dix considèrent qu’ils parlent des problèmes de manière trop abstraite ; 67 % qu’ils ne se soucient que des riches et des puissants. Quand on leur demande ce qu’ils éprouvent quand on parle de politique, 40 % des Français interrogés répondent « méfiance », 28 % « dégoût »… Un sur cinq (18 %) seulement pense que les responsables politiques essaient de tenir leurs promesses.

Bref, on observe un désenchantement. Les gens ont le sentiment que les élus passent, mais que les problèmes restent. Ils leur demandent donc de moins parler et de prendre des mesures adéquates. Il y a une demande d’efficacité et, dans le même temps, de proximité, d’empathie, de dialogue.

Comment expliquer ce désaveu persistant ?

Il peut s’expliquer par plusieurs tendances de fond. L’intégration européenne et la globalisation économique ont conduit les citoyens à considérer que leurs gouvernants n’ont plus les commandes. Ils se sentent abandonnés.

Par ailleurs, on observe un déclin de l’autorité verticale. Les gens veulent participer à la construction des décisions, que celles-ci soient motivées. Ils veulent de l’horizontalité, ce qui met le discours politique en porte-à-faux, tout en souhaitant que le pouvoir soit fort.

Cela se retrouve-t-il dans d’autres pays ?

Le phénomène est fort en France, mais tous les pays européens sont concernés. Le Royaume-Uni a réagi en mettant en place un « audit démocratique ». Cela revient à se pencher sur son fonctionnement démocratique : que vivent les Britanniques ? Comment les décisions politiques sont-elles prises ? Comment le gouvernement travaille-t-il ? Etc. Il faudrait faire la même chose en France.

On peut considérer que la méfiance vis-à-vis des élus est inhérente au système de démocratie représentative : il existe un écart entre le temps de la campagne, des promesses, et celui du gouvernement, du retour au réel. Mais, aujourd’hui, on est vraiment à la croisée des chemins.

Pourquoi ?

Plusieurs feux clignotent, voire passent au rouge. Le Front national capte une partie de plus en plus importante de cette insatisfaction.

Le rapport à l’espace public se transforme. Les citoyens sont intéressés par la politique, mais de manière intermittente. Ils se mettent ponctuellement au service d’une cause – Nuit debout en est un bon exemple –, mais militent moins spontanément pour un parti politique ou un syndicat. Ceux-ci, comme les médias d’ailleurs, donnent des signes de faiblesse. Or ce sont eux qui sont chargés d’établir le contact entre les citoyens et les autorités politiques.

Par ailleurs, les deux derniers présidents de la République avaient des styles politique et personnel opposés, mais ils ont tous deux terminé leur mandat en lambeaux. François Hollande n’a même pas pu se représenter. La Ve République a vraiment du mal.

Selon moi, il y a deux écueils à éviter : se lamenter sur les promesses toujours trahies ou baisser les bras en considérant que c’est normal.

Selon le baromètre, un Français sur deux considère que s’en remettre à un homme fort n’ayant à se préoccuper ni du Parlement ni des élections peut être une bonne solution. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

C’est effectivement préoccupant. D’autant que 17 % des personnes interrogées souhaitent que l’armée dirige le pays. Je ne pense pas, pour autant, que cela signifie que les Français rêvent d’un régime autoritaire. Rappelez-vous de la mobilisation après le 21 avril 2002. La culture civique reste forte. Mais cela traduit une demande d’ordre et d’efficacité. Dans la sphère publique, en tout cas. Cela met également en exergue le grand trouble des Français devant un monde qui bouge très vite. Les gens se sentent pas mal perdus.