A Paris, dans le restaurant « Aux délices d’Elksour », lors du match Algérie-Tunisie, le 19 janvier 2017. | Emile Costard

Station Barbès-Rochechouart, Paris 18e arrondissement. Les métros aériens de la ligne 2 filent au-dessus de la foule à un rythme régulier, direction porte Dauphine ou Nation. A chaque passage de la rame, Jean-Michel Lebcher plisse légèrement les yeux : le son strident de la ferraille qui crisse semble encore l’importuner.

Accoudé au comptoir de son pavillon ouvert, ce sexagénaire d’origine marocaine installé sur l’avenue Barbès depuis 1976 partage quelques pronostics sur le match à venir avec des habitués, venus spécialement dans son kiosque à journaux pour acheter la presse algérienne. Dans quelques minutes, l’Algérie affronte la Tunisie, à Franceville au Gabon, dans le cadre du premier tour de la Coupe d’Afrique des nations (CAN).

« Ici, le foot est une religion »

« En 1982, après la victoire de l’Algérie contre l’Allemagne [2-1] en coupe du monde, les rues étaient noires de monde. Le lendemain, des Algériens de toute la région se sont rués dans mon kiosque pour acheter les journaux de là-bas. J’ai été le premier dans le quartier à vendre des drapeaux de l’Algérie et des posters de l’équipe », se souvient Jean-Michel Lebcher qui égraine ses anecdotes sur les matchs des Fennecs. « A Barbès, le football est une religion et quand l’Algérie gagne, c’est la fête ici ! », ajoute-t-il.

« On va leur couper le gaz ! », plaisante un supporteur algérien optimiste au début du match, attablé « Aux délices d’Elksour », un restaurant salon de thé situé rue de la Goutte-d’Or, bondé ce soir. Si l’établissement porte encore le nom d’une petite ville tunisienne, les clients massés devant un écran plat flambant neuf soutiennent tous l’Algérie. Mohamed Djellal et son fils Rayan ont racheté l’affaire il y a moins d’un mois à un Tunisien. Les murs ont été fraîchement repeints, du même vert pétard qu’arborent les Fennecs.

Monsieur Djellal et son fils s’affairent derrière le bar et jettent des coups d’œil sur le match entre deux cafés et une part de pizza. Les supporteurs sont si nombreux que la vitrine du restaurant est recouverte de buée. A l’intérieur, solidaires avec ceux qui n’ont pas pu rentrer et qui regardent le match dans un froid polaire depuis le trottoir, des jeunes montent régulièrement sur des chaises pour essuyer les vitres.

Des jeunes essuient la buée des vitres du restaurant « Aux délices d’Elksour », à Paris, pour permettre aux personnes massées dehor de suivre le match Algérie-Tunisie, le 19 janvier 2017. | Emile Costard

Dans ses propres cages

Mais la grande liesse prédite par Jean-Michel Lebcher en cas de victoire tourne court. Bien que son équipe domine en première mi-temps les Aigles de Carthage, le gardien algérien encaisse un but en début de seconde période suite à un centre en retrait du milieu tunisien Msakni, détourné involontairement dans ses propres cages par l’Algérien Mandi. Puis les Tunisiens enfoncent le clou à la 66e minute sur penalty.

Les joues se gonflent et un grand soupire résonne dans la salle. Les fronts se plissent, des bras gesticulent au-dessus des têtes en signe de protestation : le restaurant se vide. Malgré un but de l’Algérien Hanni à la 90e minute, les Fennecs s’inclinent (2-1) à nouveau contre leurs rivaux tunisiens. « Nous changeons trop souvent d’entraîneur, il n’y a pas de dynamique dans cette équipe mais je suis chauvin et algérien alors j’y crois encore », regrette Mohamed Djellal.

Le sol du restaurant a été balayé et les tables ont regagné leur place. L’Algérie affrontera le Sénégal le 23 janvier pour jouer sa place en quarts de finale. Mais elle n’a plus son sort entre ses mains.