Le président Donald Trump. | Lucas Jackson/Reuters

Comment Donald Trump va-t-il gouverner pendant les 1 461 jours de son mandat ? Le professeur de Sciences Po Lyon Vincent Michelot, spécialiste des Etats-Unis, a répondu vendredi 20 janvier aux questions des lecteurs du Monde.fr sur les premiers pas du 45président des Etats-Unis d’Amérique. Voici les principaux extraits de cet entretien.

Un président américain avait-il déjà suscité autant de polémiques après son élection ?

Il y a dans l’histoire politique des Etats-Unis beaucoup d’élections qui ont été extrêmement contestées, et nombre de présidents élus avaient causé des polémiques et entraient à la Maison Blanche en soulevant des doutes importants pour une partie significative de la population américaine.

Pour autant, Donald Trump est un cas exceptionnel pour deux raisons : la première est qu’il bat tous les records d’impopularité à son entrée en fonctions. Jamais un président entrant, dans l’ère moderne des sondages, n’a joui d’une aussi faible popularité. La deuxième est que Donald Trump, pendant la période de transition entre le 8 novembre et le 20 janvier, a rompu tous les codes traditionnels de la période et s’est approprié la fonction présidentielle d’une manière exceptionnelle et parfois irrationnelle.

A-t-on connu, dans l’histoire des Etats-Unis, des manifestations antiprésident lors des cérémonies d’investiture semblables à celles auxquelles on assiste à l’égard de M. Trump ?

Oui absolument, on peut rappeler les précédents, notamment la deuxième inauguration du président Nixon, on peut évoquer certaines manifestations autour de l’inauguration du président Reagan, et bien sûr, plus récemment, la prise de fonctions de George W. Bush, en 2001, après une élection très mouvementée […].

Où en sont les nominations des ministres ? Ont-elles été validées par le Sénat ?

Aucune de ces nominations n’a encore été validée à ce jour. Les auditions devant les commissions compétentes du Sénat se sont tenues toute cette semaine, et on pourrait avoir les premiers votes de confirmation aujourd’hui et demain, et plus probablement dans le courant de la semaine qui vient.

Seules trois nominations sont véritablement menacées, en particulier celle de Scott Pruitt, qui prendra normalement la tête de l’Agence de protection de l’environnement, et puis éventuellement celle de Betsy Devoes, qui s’occupera du domaine de l’enseignement […].

Quel sera l’équilibre entre Donald Trump et sa majorité républicaine ? Sur quels dossiers peut-il se retrouver en difficulté ?

Donald Trump, comme tout président des Etats-Unis, peut donner de grandes impulsions, tracer une direction, édicter des priorités. Mais dans le domaine de la politique intérieure, le détail des projets de loi, les équilibres financiers, les valeurs prioritaires sont déterminés par les deux chambres du Congrès.

Ce sera le cas en matière de fiscalité, en matière de dépenses, notamment sur un éventuel plan de relance par l’investissement dans les grandes infrastructures. Ce sera aussi évidemment le cas dans le remplacement de la réforme du système de santé qui avait été mise en place par le président Obama.

En matière de politique étrangère, le président a évidemment les mains plus libres, mais pour autant, dans beaucoup d’aspects de la diplomatie militaire et commerciale américaine, il est contraint par la volonté de sa majorité au Congrès.

Sait-on ce que Donald Trump veut faire pendant le premier mois ? On parle de 200 « executive orders », est-ce réaliste ?

On en reste pour l’instant dans tous les domaines à une série d’annonces dont on ne sait comment elles seront mises en place, sur quel calendrier, et avec quelle priorité. Les fameux « executive orders », qu’on appelle en français des décrets présidentiels, peuvent effectivement être pris pour détricoter certaines décisions en matière d’immigration, de protection de l’environnement, prises par le président Obama.

Mais, dans de très nombreux domaines, ces décrets doivent faire l’objet d’un processus de préparation et de validation administrative qui est extrêmement long et complexe. Il faut donc s’attendre dans les premiers jours à quelques décrets symboliques, mais pour le fond, dans quelque domaine que ce soit, c’est au minimum six à huit semaines qui seront nécessaires à la rédaction et la publication de tels décrets […].

M. Trump peut-il stopper l’accord des Etats-Unis concernant la COP 21 ?

Donald Trump a constitutionnellement les moyens de rendre caduque la participation des Etats-Unis à l’Accord de Paris à l’occasion de la COP21. Pour autant, comme de nombreux accords dont les Etats-Unis sont signataires, celui de la COP21 doit être compris comme un élément de stabilisation de l’ordre international, et Donald Trump et son équipe savent pertinemment qu’ils ne peuvent pas remettre en question tous les paradigmes stabilisateurs de l’ordre mondial au même moment.

Je n’estime pas que pour Donald Trump la première cible de sa volonté de radicalement réorienter la politique étrangère des Etats-Unis soit l’accord sur le climat.

Quelles seraient donc ses premières cibles en matière de politique étrangère ?

Donald Trump a fait un tel nombre d’annonces qu’on peut véritablement parler en matière de politique étrangère de théorie du chaos. Il a en effet remis en cause le principe de la Chine unique, mais aussi une solution à deux Etats dans le conflit israélo-palestinien, allant jusqu’à évoquer le transfert de l’ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem.

Il s’est attaqué directement à l’ONU, à l’OTAN, il a aussi remis en cause l’accord de libre-échange qu’est l’ALENA, et il pèse actuellement sur la Chine pour influer sur les échanges commerciaux. Enfin, on sait que Donald Trump souhaite un rapprochement avec la Russie.

Cependant, toutes ces incriminations sur des paradigmes stabilisateurs de l’ordre mondial ne font pas une politique étrangère, et on attend encore, et ce sera sans doute à l’occasion du discours sur l’état de l’Union, quelles seront les priorités et les urgences de la politique de Donald Trump.

Pour l’instant, on en reste au niveau de la supputation et des probabilités. Une seule chose est certaine : l’avenir politique de Donald Trump en matière domestique se joue sur la question de l’emploi, et en particulier de l’emploi dans le secteur manufacturier. Ce ne peut donc être qu’une priorité absolue de son administration dans la gestion des affaires étrangères.

Les bonnes nouvelles économiques (création de 100 000 emplois par Amazon) et les reculades des constructeurs automobiles américains traduisent-elles une confiance des acteurs privés pour M. Trump ?

Il est difficile d’attribuer au seul Donald Trump la décision d’un certain nombre de multinationales américaines soit de rapatrier vers le territoire national, soit de créer sur ce même territoire quelques milliers d’emplois. En effet, qu’il s’agisse de la chaîne de grande distribution Walmart ou de l’industrie pharmaceutique, ou encore du secteur automobile, ce type d’investissement est programmé fort longtemps à l’avance, et il est évidemment très positif pour ces entreprises d’annoncer au moment où Donald Trump prend ses fonctions ces investissements ou créations d’emplois aux Etats-Unis.

Pour autant, on ne peut pas y voir une réponse positive à une injonction aussi comminatoire, fut-elle de la part du nouveau président. Enfin on rappellera que pour rester sur une courbe stable de l’emploi l’économie américaine doit créer entre 180 000 et 200 000 emplois par mois. Cela ramène à de justes proportions les annonces récentes de différents groupes industriels américains et non américains.

Y a-t-il des choses dans le programme de Donald Trump qui se heurtent à la Constitution américaine ?

[…] En ce qui concerne le programme de Donald Trump, certaines mesures, dont l’interdiction d’entrer sur le territoire de personnes au motif de leur appartenance religieuse, ou encore le recours par les Etats-Unis à la torture, sont constitutionnellement extrêmement suspectes.

De la même manière, beaucoup estiment que Donald Trump pourrait avoir une conception des pouvoirs qui sont ceux du chef de l’exécutif qui ne soit pas conforme au texte constitutionnel américain.

Tout cela, les tribunaux, et en particulier la Cour suprême des Etats-Unis, devront le traiter, mais on rappellera que, aux Etats-Unis, le contrôle de constitutionnalité des lois et des pratiques de l’exécutif ne peut se faire qu’a posteriori, après que la loi a été promulguée ou que la décision a été prise par l’exécutif.

Y a-t-il une possibilité que le président Trump soit rattrapé par un scandale et doive démissionner ?

Il y a toujours une possibilité qu’un président soit rattrapé, soit par un scandale, soit par des malversations financières, mais les probabilités sont cependant extrêmement faibles, et on ne doit pas tabler sur une présidence qui serait affaiblie par d’éventuelles révélations. Et même si un scandale surgissait, notamment d’ordre privé, il faudrait un long moment pour qu’il filtre dans le domaine institutionnel, comme on a pu le voir avec la procédure de mise en accusation du président Clinton à la fin du XXsiècle.

Il a été demandé à Donald Trump de placer ses entreprises dans un « blind trust » pour éviter les conflits d’intérêts. Il semble jusque-là s’en être abstenu. Cela pourrait-il constituer un motif d’impeachment ?

[…] Oui, Donald Trump a rompu avec la tradition et ne s’est effectivement pas dessaisi de la propriété et du contrôle de ses différentes entreprises. Il en a simplement confié la gestion à ses fils, ce qui apparaît comme totalement contradictoire avec la loi.

Pour autant, dans ce domaine, comme dans un certain nombre d’autres, on ne dispose pas d’éléments suffisamment forts pour lancer une procédure d’impeachment, dont on sait avant même qu’elle ne soit initiée qu’elle est vouée à l’échec telles que sont constituées actuellement les majorités partisanes à la Chambre des représentants et au Sénat.

[…] Si opposition à Donald Trump il doit y avoir, et cela semble une nécessité, ce sont dans les partis, y compris à l’intérieur même du Parti républicain, dans les grandes organisations militantes et dans les Etats, par le biais d’une politique, notamment sur l’immigration et sur l’environnement, qu’elle doit se faire. Mais il ne faut pas espérer une forme « de miracle de l’impeachment ».