Devant une photo de la campagne de lutte contre le trafic de drogue à Manille, le 21 décembre 2016. | NOEL CELIS / AFP

L’impunité promise par le président philippin, Rodrigo Duterte, à ses policiers commence à avoir des conséquences négatives sur le plan international. Le ministre des affaires étrangères sud-coréen, Yun Byung-se, s’est dit sous le choc après avoir appris le sort qui avait été réservé à un ressortissant résidant aux Philippines, Jee Ick-joo.

Des policiers s’étaient présentés, le 18 octobre 2016, au domicile de cet homme de 53 ans, expatrié à Angeles, dans le nord de l’archipel. Ils l’avaient embarqué en présentant un faux mandat soi-disant dans le cadre de la campagne contre le trafic de drogue, grande cause portée par le chef de l’Etat depuis son installation au pouvoir en juin.

Deux semaines plus tard, un kidnappeur avait appelé l’épouse de M. Jee, exigeant une rançon pour lui rendre la liberté. Elle avait alors effectué un virement de cinq millions de pesos (94 000 euros) dans l’espoir de revoir son mari. Puis ils avaient demandé encore l’équivalent de 85 000 euros pour lui épargner la vie.

En réalité, le Sud-Coréen était déjà mort, et ce depuis la date même de son enlèvement maquillé en arrestation. Le 18 octobre, il avait été conduit jusqu’au siège de la police nationale, à Camp Crame, dans l’est de Manille. Jee Ick-joo y fut étranglé jusqu’à la mort, selon le récit de la police philippine. Récit invérifiable pour la famille sud-coréenne : le corps fut aussitôt transféré au crématorium tenu par un ancien policier, sans autopsie. L’opération avait été pilotée par un commissaire des stupéfiants, Ricky Santa Isabel. Il se serait rendu depuis.

« Des officiers haut placés »

Souvent agressif dans sa communication, le président Duterte s’est montré plutôt discret depuis que son chef de la police, Ronald Dela Rosa, a confirmé, jeudi 19 janvier, l’implication d’agents dans l’affaire. M. Dela Rosa est perçu comme l’exécutant du chef de l’Etat dans sa « guerre » contre la drogue. Le porte-parole de la présidence, Ernesto Abella, a précisé au quotidien local The Inquirer que M. Duterte n’a pas « explicitement exprimé de mécontentement » quant à l’action de son chef de la police.

Mais son ministre de la justice, Vitaliano Aguirre, a estimé que l’affaire remontait jusqu’à des personnes « de l’entourage » du plus haut gradé de la police : « C’est profond, a déclaré M. Aguirre, ce sont des officiers haut placés, des chefs de département. »

« Si je faisais à ma manière, je tuerais les policiers qui sont les kidnappeurs. »

Le chef de la police nationale lui-même a dit « fondre de honte » face à l’affaire, et révélé au passage sa vision des choses : « Si je faisais à ma manière, je tuerais les policiers qui sont les kidnappeurs. Mais je ne peux pas, parce que c’est illégal », a déclaré Ronald Dela Rosa. Il tente depuis de faire valoir qu’il ne s’agit que d’un « cas isolé ». Mais les critiques du président Duterte y voient, au contraire, une illustration de la dérive hors des clous de l’Etat de droit d’une campagne contre la drogue qui a déjà fait plus de 6 000 morts.

La vice-présidente du pays, Leni Robredo – les deux fonctions font l’objet de scrutins séparés –, avait dénoncé samedi 14 janvier l’utilisation du motif de la lutte contre le narcotrafic comme prétexte à des kidnappings. Elle y a vu non pas un cas isolé, mais une nouvelle tendance au sein de la police, dérive qu’elle a baptisée « opération rançon ».