Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, à Bruxelles le 26 septembre 2016. | EMMANUEL DUNAND / AFP

Le président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi, rêve d’une année calme. Au regard du calendrier politique chargé des prochains mois – élections françaises, néerlandaises, allemandes –, il risque d’être déçu. D’autant que le retour de l’inflation en zone euro pourrait tourner au casse-tête pour l’institution. Pour ne pas dire au cauchemar…

Jeudi 19 janvier, lors de la réunion du conseil des gouverneurs, la BCE a laissé ses taux directeurs (0 %) et de dépôt (-0,4 %) inchangés. Elle a également choisi de maintenir le cap de ses rachats de dettes publiques et privées (le quantitative easing ou QE). Et ce, à hauteur de 80 milliards d’euros mensuels jusqu’en mars, puis de 60 milliards d’euros jusqu’en décembre. « Si les perspectives devenaient moins favorables, nous nous tiendrions prêts à augmenter le volume ou la durée de ce programme », a détaillé M. Draghi.

A l’inverse, l’institut de Francfort refuse d’envisager de réduire la voilure du QE plus vite que prévu, a-t-il précisé, afin de lever toute ambiguïté sur le sujet. La BCE compte soutenir la croissance européenne aussi longtemps qu’il le faudra, estimant qu’il est trop tôt pour que celle-ci puisse se passer de la béquille monétaire. « Cette posture est surprenante, car la situation économique s’est incontestablement améliorée ces derniers temps », s’étonne Véronique Riches-Flores, chez RF Research, comme beaucoup d’observateurs.

C’est tout le paradoxe dans lequel se trouve aujourd’hui l’institution. De fait, Mario Draghi a lui-même souligné que les indicateurs d’activité se sont nettement redressés en zone euro. « Elle a créé 4,5 millions de nouveaux emplois ces trois dernières années », s’est-il félicité, jugeant que cette embellie est à mettre au crédit de sa politique. De même, le risque de déflation qui menaçait l’union monétaire depuis des mois « a largement disparu », a-t-il affirmé. L’inflation s’est ainsi établie à 1,1 % en décembre, au plus haut depuis septembre 2013. Elle se rapproche ainsi doucement de la cible de 2 % de l’institution.

Tensions salariales

Une bonne nouvelle ? Oui et non. « L’inflation sera le grand sujet de 2017 », résume Valentin Bissat, économiste chez Mirabaud AM. « En zone euro, la remontée des prix est essentiellement tirée par celle des cours du pétrole, ajoute Patrick Artus, chez Natixis. Mais contrairement à ce que l’on observe aux Etats-Unis, les salaires, eux, ne se redressent toujours pas dans la plupart de pays membres. »

Dans ces conditions, la hausse des cours de l’or noir risque plutôt de pénaliser le pouvoir d’achat des ménages, notamment en France, en Italie ou au Portugal. Préoccupée, la BCE entend surveiller ces évolutions comme le lait sur le feu tout au long de 2017. Et elle ne fera rien tant que l’inflation n’aura pas atteint les 2 % « durablement, dans tous les pays et de façon auto-entretenue », c’est-à-dire lorsque les salaires augmenteront eux aussi, a insisté Mario Draghi.

Nombre d’économistes allemands sont probablement tombés de leur chaise en écoutant ces propos. Car outre-Rhin, l’inflation est déjà remontée à 1,7 % en décembre. Avec un taux de chômage à 6 %, nos voisins sont au plein emploi, si bien que des tensions salariales sont probables ces prochains mois. Résultat : à Berlin, une partie de la classe dirigeante – à commencer par le redoutable ministre des finances, Wolfgang Schäuble – craint que les mesures monétaires accommodantes ne déclenchent une surchauffe malvenue de l’économie allemande. Elle réclame donc que la BCE les réduise au plus vite.

« Etre patient »

Les banques germaniques reprochent en outre à l’institution d’avoir baissé ses taux directeurs à un niveau beaucoup trop bas, laminant au passage leurs marges et l’épargne des ménages allemands. Interrogé sur le sujet, « Mario Draghi a tenté de ménager la chèvre et le chou », analyse Christopher Dembik, économiste chez Saxo Banque. A savoir, « rassurer les marchés souhaitant le maintien du QE tout en indiquant aux Allemands qu’il a entendu leurs inquiétudes ».

A plusieurs reprises, le banquier central a expliqué que, contrairement aux idées reçues, les particuliers Allemands ont profité eux aussi des taux bas. Et ce, « non seulement comme épargnants mais aussi comme emprunteurs, comme entrepreneurs et comme salariés, à l’instar de tous les citoyens de la zone euro ». Il convient donc « d’être patient », a-t-il conclu, promettant que les taux d’intérêt remonteraient avec le raffermissement de la croissance. Un message directement adressé à Berlin.

A-t-il été bien reçu ? Rien n’est moins sûr. La remontée des prix outre-Rhin laisse plutôt penser qu’au contraire, les critiques allemandes vont gagner en intensité ces prochains mois. Au risque que cela n’entame la crédibilité de l’institution et n’émousse l’efficacité du QE. Plutôt préoccupant, estiment certains économistes. Car à l’heure où les premières mesures du nouveau président américain, Donald Trump, risquent de provoquer des turbulences sur les taux d’emprunt souverains, les rachats de dettes de la BCE offrent une protection utile aux Etats les plus fragiles.