Discours du président chinois Xi Jinping, au Forum économique mondial (WEF), à Davos (Suisse), le 17 janvier. | Bloomberg / Bloomberg via Getty Images

Instruire le procès de la mondialisation à Davos, en Suisse, les pieds dans la neige, cela revient à s’interroger sur l’avenir de la monarchie sous les ors du château de Versailles. Pourtant, à l’occasion du 47e Forum économique mondial qui s’est achevé vendredi 20 janvier, les élites internationales se sont livrées quatre jours durant à une minutieuse introspection afin de comprendre où la machine avait déraillé.

Car le déni n’est plus de mise : le vote des Britanniques en faveur de la sortie de l’Union européenne et l’élection de Donald Trump ont braqué les projecteurs sur le ras-le-bol d’une partie de la population. Côté face de la mondialisation, « les perdants ont été les paysans des pays émergents et les classes moyennes aux Etats-Unis », résume l’économiste Dambisa Moyo.

L’accroissement des inégalités a attisé les rancœurs. « Depuis 2015, les 1 % les plus riches détiennent autant de richesse que le reste de la planète », a rappelé un rapport de l’ONG Oxfam. Cependant, côté pile, « l’écart de richesse entre les pays pauvres et les pays développés s’est réduit », précise Mme Moyo.

Une forme d’abdication

Le président chinois, Xi Jinping, a d’ailleurs souligné à Davos que 700 millions de ses compatriotes étaient sortis de la pauvreté grâce à une croissance tirée par le libre-échange. « Tourner le dos à la mondialisation serait une erreur », a assuré Christine Lagarde, la directrice générale du Fonds monétaire international, avant d’insister :

« Il va falloir des analyses plus fines pour savoir ce qui détruit les emplois, la technologie ou la mondialisation. »

A Davos, Christine Lagarde, la patronne du FMI, a mis en garde contre la tentation de « tourner le dos à la mondialisation ». | RUBEN SPRICH / REUTERS

Si la mondialisation a donc été – partiellement – acquittée, il y aura eu une forme d’abdication. Aux yeux du monde entier, les Etats-Unis ont abandonné leur leadership sur la scène internationale au profit de la Chine dont le président Xi Jinping s’est posé comme le champion de la mondialisation et du libre-échange.

« Nous avons assisté à une inversion des rôles, à un changement tectonique dans les valeurs. La Chine veut saisir les opportunités que lui ouvre, en Asie ou même en Amérique latine, le repli des Etats-Unis promis par Donald Trump », analyse Hélène Rey, professeure à la London Business School.

« Vous, les pays avancés, vous nous dites de nous convertir au capitalisme. On le fait. Et maintenant, vous nous dites que le capitalisme, ça ne marche pas ? Nous sommes perdus ! », ironise cet entrepreneur indien, croisé dans les couloirs du palais des congrès de Davos.

« Le train de la mondialisation a quitté la gare. Nous sommes dedans », Arif Naqvi, patron du fonds Abraaj.

Car les pays émergents veulent poursuivre leur trajectoire. « L’Argentine a été fermée ces douze dernières années. Nous avons manqué l’opportunité de la mondialisation et un tiers de notre population se retrouve sous le seuil de pauvreté », a déploré Nicolas Dujovne, le ministre argentin des finances. Et Arif Naqvi, le fondateur et président d’Abraaj, le grand fonds d’investissement de Dubaï, de marteler : « Le train de la mondialisation a quitté la gare. Nous sommes dedans. »

Une vision que partage Pascal Lamy, l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce. Selon lui, M. Trump ne pourra pas mettre en vigueur l’essentiel de son programme protectionniste. « C’est la mondialisation qui protège de la démondialisation. Cela coûterait beaucoup trop cher de défaire l’écheveau inextricable qu’est devenue la chaîne mondiale de production », estime le Français.

Pour Pascal Lamy, l’ancien de l’OMC, le programme protectionniste de Donald Trump est difficilement tenable. | ERIC PIERMONT / AFP

Pour autant, sans revenir en arrière, la baisse des volumes commerciaux, le recul des échanges de devises révèlent un essoufflement qui pourrait s’aggraver avec la remise en cause des grands traités commerciaux, Transpacifique (Asie) ou Nafta (Canada, Mexique). « La montée des protectionnismes ne date pas de Trump », souligne Mme Moyo.

« La courbe mesurant l’évolution de la mondialisation sur la base des flux commerciaux, financiers, de services et migratoires s’est aplatie en 2016 et, au cours des trois dernières années, elle est retombée en dessous des valeurs de 2012-2013 », indique une étude publiée jeudi 19 janvier par le Credit Suisse Research Institute. Pour son auteur Michael O’Sullivan, « la globalisation telle que nous la connaissons, dominée par les Anglo-Saxons, est terminée. Nous voyons l’émergence de pôles régionaux qui, à l’image de la Chine, déroulent leurs propres valeurs et manière de faire ».

Candidate à la création de l’un de ces pôles, Theresa May, la première ministre du Royaume-Uni, a présenté à la communauté internationale en anorak son projet de « Global Britain ». « Il faut éviter les amalgames. Les causes du Brexit ne sont pas celles qui ont amené à l’élection de Donald Trump », a insisté Philip Hammond, le ministre britannique des finances : « Le Brexit n’est pas un vote contre le libre-échange. D’ailleurs, nous voulons d’avantage de libre-échange. »

« Le Brexit n’est pas un vote contre le libre-échange. D’ailleurs, nous voulons d’avantage de libre-échange », a défendu la première ministre britannique, Theresa May, le 19 janvier, au Forum économique mondial. | FABRICE COFFRINI / AFP

Le Royaume-Uni ne veut pas fermer ses ports mais ses frontières, pour contrôler ses flux migratoires. « Les universités sont l’un des grands atouts du pays. Si les gens de talents ne peuvent plus venir étudier, on se tire une balle dans le pied avant même d’avoir commencé la course », prévient Ngaire Woods, doyenne de la Blavatnik School of Government de l’université d’Oxford.

Les entreprises s’interrogent sur leur responsabilité sociétale

Autant dire que la place de l’Union européenne dans ce nouvel ordre économique mondial, très instable, est loin d’être simple. Et n’est pas près de s’éclaircir. A la veille d’élections cruciales, les gouvernements français et allemand ont envoyé comme seul émissaire de poids leur ministre des finances, Michel Sapin et Wolfgang Schäuble, histoire de ne pas attirer les traditionnelles critiques liées à la fréquentation du temple du capitalisme.

Car Davos est bien ça. Un lieu où les multinationales prennent la température des affaires, signent des contrats. Mais pas seulement. Dans ce climat politique électrique, face à l’inquiétante montée des populismes, les patrons reconnaissent de plus en plus la nécessité d’endosser une réelle responsabilité sociétale afin d’atténuer les effets néfastes de la mondialisation et de la quatrième révolution industrielle.

« C’est le moment pour l’entreprise de s’engager », s’exclame Rick Goings, le président de la marque Tupperware. Le septuagénaire américain se fait une fierté de ne prendre aucun rendez-vous d’affaires à Davos. Tous les ans, il se rend en Suisse plaider la cause des femmes, souvent les premières laissées-pour-compte.

« Nous voulons proposer aux gouvernements un modèle fondé sur l’éducation et la mise en confiance pour aider les femmes à participer à l’économie. Je voudrais, en particulier, réaliser un meilleur travail en France envers les immigrées », relate-t-il.

Cette vision, dont Paul Polman, le patron d’Unilever, apparaît comme la figure de proue, fait des émules, à l’image de l’éditeur américain Salesforce. « Dans la Silicon Valley, les gens commencent à être mal à l’aise car ils s’interrogent sur le sens du progrès technique qu’ils apportent, alors que le numérique et l’intelligence artificielle détruisent des milliers d’emplois », témoigne un entrepreneur californien.

L’éducation et la formation apparaissent comme un domaine où les entreprises affirment vouloir s’investir pour aider leurs concitoyens à passer le cap de la révolution technologique. À suivre.