Marche des femmes, sur le National Mall, à Washington, samedi 21 janvier. | ZACH GIBSON / AFP

Chacun est venu avec sa pancarte, puisant dans l’humour, le dessin, des citations de Beyoncé ou de Martin Luther King Jr, la formule résumant sa préoccupation du moment. Climat, droits civiques, santé, éducation, droit à l’avortement, Trump bashing : la Marche des femmes, organisée samedi 21 janvier à Washington a largement dépassé le cadre fixé à l’origine par les instigatrices de ce mouvement, soucieuses de défendre les droits des femmes, menacés selon elles par la rhétorique, le comportement et les promesses de Donald Trump.

Sur les lieux mêmes où, la veille, l’Amérique républicaine célébrait l’investiture du nouveau président, une autre Amérique, diverse, inclusive et inquiète s’est rassemblée sur le National Mall, pour une démonstration de force, inédite au lendemain d’une prestation de serment, et un avertissement à l’administration Trump.

Près de 500 000 personnes, de tous âges, de toutes origines, venues de tout le pays ont convergé dans le centre de la capitale fédérale, noyant les rues sous une marée de Pussy hats, ces bonnets roses devenus le signe de ralliement de la méfiance anti-Trump, en référence à ses propos orduriers sur les femmes (« Grab them by the pussy », « Attrape-les par la chatte »). Le nombre de manifestants, largement supérieur aux 200 000 participants attendus, a rendu difficiles la mise en branle d’un cortège et la marche prévue à l’origine jusqu’à la Maison Blanche. Des scènes identiques se sont déroulées dans de nombreuses villes du pays, réunissant au total plusieurs millions de personnes selon la presse.

Arrivée du Mississippi après avoir roulé 19 heures en voiture, Samantha Robinson est « rassurée » de voir une telle foule. L’étudiante de 24 ans, déprimée depuis l’élection de Donald Trump il y a deux mois, brandit une pancarte jaune promettant « la résistance ». Comme elle, Elena Kernikos, 19 ans, et son amie Lindsey Broderick, 18 ans, étudiantes à Washington, se réjouissent du « message d’espoir dans une période sombre » que constitue pour elles l’ampleur de ce rassemblement.

« On a l’impression que tout ce qui a été fait depuis huit ans va être démoli, alors que Hillary Clinton a obtenu 3 millions de voix de plus que Trump ».

« Ce qui me terrifie, souligne Elena, c’est que cette campagne a légitimé les paroles de haine ». « Le pire c’est que ce soir, comme à son habitude quand quelque chose ne lui plaît pas, Trump est capable de tweeter Sad ! [‘Triste’] pour qualifier ce mouvement ».

« Cette présidence va nous ramener en arrière sur des tas de sujets, qu’il s’agisse des droits des femmes, des LGBT, des réfugiés », s’indigne aussi Margot, 67 ans, venue de Rhode Island avec des amies. « La dernière fois que j’ai manifesté c’était dans les années 80 pour protéger, déjà, le droit à l’avortement », précise-t-elle à l’unisson de nombreuses femmes. Donald Trump a assuré qu’il nommerait un juge ultra-conservateur à la Cour suprême, ouvrant la voix à une possible abrogation du droit à l’avortement au niveau fédéral inscrit dans la Constitution depuis 1973.

« On ne peut pas en permanence humilier »

Marche des femmes à Washington, samedi 21 janvier. | Jessica Kourkounis / AFP

Si par ses propos et son programme, M. Trump a incontestablement (r) éveillé une fibre féministe, la méfiance, voire la peur, qu’il suscite chez nombre des manifestants présents, s’étend bien au-delà de la cause des femmes. « Il a galvanisé les féministes mais il a soulevé des tas de gens prêts à se battre pour d’autres causes », constate Katherine Brown, 66 ans, engagée de longue date dans les combats pour les femmes. « Je suis heureuse de voir aujourd’hui des jeunes, des familles, des hommes : cette manifestation est quelque chose d’inédit », estime cette anthropologue de Rhodes Island.

La famille Kirkland, les parents et leurs deux filles de 22 et 25 ans, ne la contredira pas. Le père, Jim, explique qu’ils ont fait le voyage depuis la Californie non seulement pour « rappeler à Trump que 51 % des Américains sont des femmes, mais aussi pour lui dire que l’on ne peut pas en permanence humilier, diminuer les minorités quelles qu’elles soient ». Sa plus grande peur est de savoir « cet homme, sans connaissance et sans jugement, responsable de l’arme nucléaire. C’est juste effrayant ».

Anxieuse, Kathi Lublin, une juriste de Virginie, l’est aussi. Elle n’avait jamais manifesté de sa vie mais « la peur » pour ses enfants et son pays l’ont convaincue de rejoindre la Marche. « Ce qui m’effraie c’est qu’un quart des Américains ont voté pour lui et que des tas de gens le soutiennent encore. Il faut arrêter de dire que l’Amérique va mal et qu’il va la réparer ; il tire les gens par le bas, ne développe aucune idée », ajoute-t-elle en soupirant.

Moins de 24 heures après l’intronisation de leur nouveau président, tous en tout cas sont convaincus de participer à « un vrai moment de démocratie » et espèrent changer la donne lors des élections de demi-mandat… dans deux ans.

Slogans, bonnets roses, colère et solidarité : les manifestations anti-Trump en images