C’est la dernière ligne droite. A la fédération du Parti socialiste de Nantes, quelques cartons contenant les kits électoraux attendent encore d’être distribués dans l’un des 145 bureaux de vote de la primaire à gauche en Loire-Atlantique. Dimanche 22 janvier, « tout sera prêt », assure Fabrice Roussel, premier secrétaire fédéral du PS. Seule inconnue, la participation des électeurs. « De 50 000 à 60 000 votants, ce serait un mouvement citoyen important », espère le patron départemental des socialistes, qui soutient Manuel Valls. Quelque 100 000 personnes s’étaient rendues aux urnes en novembre 2016 pour la primaire de la droite.

Sur ces terres de gauche où l’ombre de Jean-Marc Ayrault n’est jamais loin, l’ex-premier ministre bénéficie également des ralliements de la majorité des parlementaires socialistes de Loire-Atlantique et de Johanna Rolland et David Samzun, les maires de Nantes et de Saint-Nazaire, les deux plus grosses villes du département.

Chez les militants, en revanche, la situation est plus contrastée. Beaucoup ont vu leurs espoirs trahis par François Hollande, et ne savent toujours pas pour qui voter. Sur le terrain, les vallsistes se font discrets, appelant seulement les citoyens aux urnes dimanche, quand pro-Montebourg et pro-Hamon enchaînent tractages, collages d’affiches et réunions publiques. « En ce moment, on ne dort pas beaucoup, on met le paquet », reconnaît Bassem Asseh, adjoint à la mairie de Nantes et coordinateur de la campagne d’Arnaud Montebourg dans la région Pays de la Loire. En cette matinée glaciale, le quadragénaire distribue des tracts sur le campus universitaire, avec une jeune camarade, responsable du Mouvement des jeunes socialistes. « Des vallsistes ? J’en ai jamais vu sur le terrain pendant cette campagne », jure-t-il.

« Des têtes nouvelles »

Bassem Asseh avait voté Hollande lors de la précédente primaire de la gauche, en 2011. Dans un esprit de synthèse, précise-t-il. Cinq ans plus tard, il s’est rallié au député de Saône-et-Loire, séduit par son programme sur le « made in France » et par son discours sur la mondialisation. « Le projet d’Arnaud [Montebourg] répond à des attentes de la population qui ne sont plus portées par le PS. Avec un Mélenchon très à gauche et un Macron très à droite, il peut rassembler la gauche et reprendre des électeurs au FN. »

Même enthousiasme chez Damien Henry, 35 ans, en recherche d’emploi. Fraîchement arrivé dans la région nantaise, le jeune homme vient de prendre sa carte au PS. Pour lui aussi, le 22 janvier, ce sera Montebourg : « Il a un programme réaliste, cohérent, il n’est pas dans la démagogie. » Delphine Rabu, responsable de la section socialiste la plus importante de Nantes, confie avoir voté avec conviction pour Hollande en 2012. « Une désillusion », regrette cette professeure de lettres, qui date son « divorce » d’avec le président de la déchéance de nationalité. « Si Hollande se représentait, je ne croirais pas en la victoire, mais là, avec Montebourg, j’ai retrouvé un candidat avec un programme de gauche. »

Près du Lieu unique, symbole de la vie culturelle nantaise, Thibaut Guiné et quelques camarades tractent pour Benoît Hamon sur un marché. La nuit tombe, le froid devient mordant. Il en faut plus pour freiner l’ardeur de ce militant de 24 ans, assistant d’éducation et vice-président de l’UNEF à Nantes. « Les gens veulent des têtes nouvelles, il y a un tel rejet de Valls. Benoît Hamon, lui, a un vrai projet de société, Benoît Hamon, c’est le futur qu’il nous faut aujourd’hui », argue Thibaut Guiné.

Le jeune homme soutient que de nombreux militants hors parti ont rejoint le camp de l’ex-ministre de l’éducation après son passage à « L’Emission politique », début décembre 2016, sur France 2. C’est le cas d’Eve, « déprimée par la primaire à droite », de son propre aveu. « Les propositions de Benoît Hamon m’ont plu, explique cette conseillère en création d’entreprise de 31 ans. Enfin un candidat qui contribue à l’émergence d’idées neuves au sein du PS. » Enzo Sawczyn, 27 ans, fait campagne pour la première fois. « Je me reconnais pas mal dans Benoît Hamon, j’y vois une forme d’espérance, comme avec le revenu universel, la reconnaissance du vote blanc ou le 49.3 citoyen. »

« Pour l’honneur de la gauche »

Au-delà de leurs divergences, la grande majorité des militants socialistes nantais en conviennent : la décision de François Hollande de ne pas se représenter fut une décision « sage ». « Pour l’honneur de la gauche, il valait mieux qu’il ne se représente pas, soutient Bassem Asseh. Vous imaginez un président sortant perdre à la primaire de son parti ? »

Pour autant, les rancœurs entre les deux lignes du PS, la ligne sociale-libérale de Valls et celle sociale-démocrate incarnée par Hamon et Montebourg, sont tenaces. Lorsque viendra l’heure du rassemblement, tous ne jurent pas la main sur le cœur qu’ils soutiendront le candidat élu au soir du 29 janvier. « Si c’est Valls, on verra à ce moment-là », prévient Thibaut Guiné. « Il y a un vrai risque d’implosion du parti », met en garde Bassem Asseh.

Guy Capdeville, lui, se dit prêt à voter Macron. « Attention, s’il a un projet », précise-t-il. « Notre seule façon de gagner en mai, c’est de présenter une candidature unique de la gauche gouvernementale », avance ce retraité de la fonction publique de 69 ans, qui défend « un axe réformiste Valls-Macron ».

Fabrice Roussel, le premier secrétaire fédéral, n’est pas inquiet. « Je reste persuadé que les électeurs, par leur mobilisation, organiseront ce rassemblement eux-mêmes. Soyons réalistes, ça va être difficile, mais la campagne présidentielle n’est pas lancée et la dynamique pour la gauche va se créer avec la primaire. »