L’accalmie relative qui a suivi le démantèlement du camp de la Lande, à la fin d’octobre 2016, a duré « deux mois environ ». Aujourd’hui, associatifs et humanitaires s’accordent à dire que des réfugiés reviennent à Calais. Le mouvement est amorcé « depuis fin décembre », selon Christian Salomé, à la tête de l’une des associations historiques du Calaisis, L’Auberge des migrants.

« Des petits regroupements sont observés en journée dans le centre, près de la gare et de façon plus visible la nuit », dit le coordinateur général de Médecins du monde (MDM), Amin Trouvé-Baghdouche. Il s’agit de mineurs ayant quitté des centres d’accueil et d’orientation pour mineurs isolés étrangers (Caomie) répartis en France, ou de réfugiés interpellés, ou encore de primo-arrivants qui découvrent que la « Jungle » n’existe plus, et ce en dépit de l’hiver et du froid.

Mercredi 18 janvier, 18 heures, la température extérieure frise les - 2 °C. Neuf bénévoles de l’association Utopia 56 embarquent à bord de trois véhicules des sacs de couchage, des couvertures de survie, des vêtements et une cinquantaine de repas chauds, préparés à l’Auberge des migrants. Ils vont sillonner les rues de l’agglomération, comme tous les soirs depuis le 7 janvier, à la rencontre de réfugiés qui tentent de gagner le Royaume-Uni.

Cette association bretonne vient en aide aux migrants depuis janvier 2016, d’abord à Calais, puis à Grande-Synthe et enfin à Paris. Elle compte aujourd’hui quelque quatre mille bénévoles, dont « certains actifs en permanence ».

« On a décidé de reprendre les maraudes »

« On a décidé de reprendre les maraudes, aux côtés de Help Refugees et de l’Auberge des migrants [créée pour distribuer de l’aide alimentaire aux réfugiés], il y a une dizaine de jours car, si après le démantèlement, on ne voyait plus de migrants, tellement ils se cachaient, on recommence à en voir tous les jours autour de la gare entre autres, dont beaucoup de mineurs érythréens » explique Gaël, 29 ans, coordinateur à Calais et cofondateur d’Utopia 56. « La nuit, ils sont vraiment tout seuls, dit-il. Une fois qu’ils ont tenté de passer, on en retrouve en milieu de nuit, un peu perdus. »

A la première « intervention », aux alentours de 19 heures, six jeunes Erythréens surgissent au coin d’une rue, l’un d’eux a appelé Gaël. Les bénévoles prennent des nouvelles. Si ce sont des personnes croisées pour la première fois, ils notent l’heure, leur nombre, demandent les âges et communiquent un numéro d’urgence associatif. Les mineurs, s’ils le veulent, sont « mis à l’abri ». Les bénévoles composent alors le 17 et le mineur est envoyé par la police à la Maison du jeune réfugié de Saint-Omer, à 70 km de Calais, gérée par France terre d’asile, et qui propose quarante-cinq places de mise à l’abri. « Mais en général, les mineurs refusent », précise Gaël.

Cette fois, les jeunes migrants demandent deux sacs de couchage, une paire de gants, remercient pour les repas chauds, avant de disparaître rapidement dans la noirceur pour tenter leur chance de passer « de l’autre côté ». Lors de la nuit de mercredi, les trois équipes croiseront une vingtaine de refugiés, « pour la plupart érythréens », dont l’un, emmitouflé dans une veste trop large pour lui, dit avoir 14 ans. Envoyé la veille à Saint-Omer, il est déjà de retour. Un autre, âgé de 16 ans, est parti d’Erythrée « il y a un an ». Il s’inquiète de savoir combien de temps les températures glaciales vont durer.

« Des gens ont honte de ce qui se passe »

Marie-Pierre vient régulièrement du Territoire de Belfort pour prêter main-forte. Elle s’émeut de voir ces « jeunes qui passent la nuit dehors » et s’exaspère de l’absence « de solution » : « Je ne comprends pas », dit-elle. La veille, la nuit avait été plus animée, avec une soixantaine de réfugiés rencontrés, y compris ceux croisés deux fois, et une cinquantaine de repas distribués, « la moyenne des derniers jours ».

Klaartje, 19 ans, qui a décidé de se consacrer au bénévolat pendant un an, estime « inévitable » une reprise importante du flux de réfugiés : « On a démantelé sans proposer de solution durable derrière. » Utopia 56 projette de créer un réseau citoyen d’accueil des réfugiés. « Plein de gens ont honte de ce qui se passe », dit Gaël.

Loan, qui effectue son service civique à L’Auberge des migrants, s’inquiète du « peu de recours possible pour les mineurs en Caomie ». Sur les 1 934 mineurs partis de Calais dans ces centres à la fin d’octobre, 468 seulement ont été acceptés par le Royaume-Uni.

A la mi-novembre, les Britanniques ont drastiquement revu à la baisse les conditions d’admission, opposant des limites d’âge, juste avant que le nouveau ministre de l’immigration, Robert Goodwill, avance que « tous les candidats éligibles » étaient entrés sur le territoire britannique.

« Une grosse déception pour ceux qui restent et dont certains commencent à revenir sur Calais », dit Christian Salomé. Une majorité d’entre eux pensaient, à la fin d’octobre, que leur passage en Grande-Bretagne n’était plus qu’une question de jours pour rejoindre les membres de leur famille.

« Plus aucun lieu d’hébergement officiel »

Le sous-préfet de Calais, Vincent Berton, a déclaré au quotidien régional Nord littoral le 12 janvier qu’« il y a[vait] encore des migrants qui sont trouvés à bord des camions ou contrôlés par les forces de l’ordre. Mais il n’y a ni campement, ni squats dans le Calaisis ». Les forces de l’ordre y veillent et procèdent à des interpellations dans le cadre de la politique « tolérance zéro migrant » édictée à Calais par les autorités.

Selon la préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio, dès que des migrants sont interpellés, ils sont reconduits dans le pays européen par lequel ils sont passés avant d’arriver en France. Pour d’autres nationalités, comme les Albanais, l’Etat engage des reconduites directement dans le pays d’origine.

Dans ce cadre, il demeure peu aisé d’évaluer le nombre de migrants qui sont de retour à Calais. Selon Philippe Wannesson, militant associatif qui tient le blog Passeurs d’hospitalités, « globalement, il y a plus de monde ». Un avis qu’il qualifie encore de « statistique intuitive », mais il estime entre « trente et cinquante » les arrivées quotidiennes de réfugiés, en provenance de Paris ou d’ailleurs.

Christian Salomé pense que « deux cents personnes environ étaient de retour sur Calais cette semaine, malgré le froid, pour lesquelles il n’existe plus aucun lieu d’hébergement officiel ni aucun lieu de distribution de nourriture ». Philippe Wannesson rapporte que l’hébergement chez des particuliers « fonctionne plus qu’auparavant » et que des associations, comme Care4Calais, « disposent de plus de moyens financiers pour payer des nuits d’hôtel ».

Pour Amin Trouve-Baghdouche (MDM), « il y a de plus en plus de retours, dont beaucoup de mineurs et de jeunes adultes », mais « personne ne parvient à en estimer vraiment le nombre ». Le premier des indicateurs, selon lui, de cette nouvelle situation, est « l’évolution du camp de Grande-Synthe, près de Dunkerque, qui a vu passer sa population de sept centsà douze cents réfugiés en un mois et demi ».

Cette hausse est imputée à deux phénomènes qui se conjugent, selon Christian Salomé : « La guerre en Irak, qui jette toujours plus de réfugiés sur les routes, et le démantèlement de la “Jungle”. »

« Mille cinq cents migrants par mois environ sont découverts sur le port et le site du tunnel sous la Manche, a affirmé, le 12 janvier, Hervé Derache, directeur interdépartemental de la police aux frontières (PAF). Parmi toutes les procédures, un tiers concerne des mineurs. »

« Il va falloir trouver des solutions »

Médecins du monde s’apprête à reprendre des maraudes dans les jours qui viennent. « Une fois par semaine dans un premier temps », explique Aurélie Denoual, coordinatrice de la veille sanitaire, « afin d’évaluer les besoins – accès aux soins et recueil d’informations sur l’état de santé des gens – et d’alerter si nécessaire ».

Chemin des Dunes, les conteneurs de l’ex-centre d’accueil provisoire (CAP), lesquels hébergeaient quinze cents personnes jusqu’à la fin d’octobre, sont vides et « s’apprêtent à disparaître », dit Stéphane Duval, le directeur de La Vie active, l’association chargée par l’Etat de leur gestion, et dont la centaine de salariés est sous le coup d’un plan social. « Du monde revient,  il va falloir trouver des solutions », prévient-il.

Dans un arrêté municipal pris lundi 16 janvier, la ville de Calais a interdit tout accès au site de l’ancienne “jungle” jusqu’au 31 décembre 2017, pour « insécurité et insalubrité ».