Le dictateur Yahya Jammeh, en 2009. | CARLOS GARCIA RAWLINS/REUTERS

Et soudain, Banjul a exulté. Depuis plus d’un mois, la capitale de la Gambie vivait dans une angoisse paralysante, ne sachant lequel de ses deux présidents, le dictateur Yahya Jammeh, qui refusait de céder le pouvoir, ou Adama Barrow, un agent immobilier vainqueur contre toute attente de l’élection du 1er décembre 2016, allait emporter la partie.

Le départ en exil du premier, samedi 21 janvier, n’avait suscité qu’une joie empreinte encore de timidité. On ne se défait pas en quelques minutes de vingt-deux années de peur. Mais lorsque dimanche, une colonne de véhicules de l’armée sénégalaise, mandatée par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), a pénétré dans la ville pour aller se masser devant le palais présidentiel, alors Banjul a semblé d’un coup se dévêtir du manteau de peur qui l’étouffait.

Ils étaient tout au plus deux mille à trois mille personnes à accompagner les militaires venus du Sénégal pour sécuriser la « State House » avant le retour d’Adama Barrow, toujours réfugié à Dakar. Mais leurs chants, leurs cris avaient la force de ceux qui veulent croire qu’un avenir meilleur leur tend les bras.

« C’est fini », « on est chez nous », hurle la foule avant d’entonner l’hymne national. Les quelques soldats gambiens encore présents au palais tiennent la barrière, mais l’attitude martiale de certains ne paraît plus vraiment impressionner les supporteurs du nouveau chef de l’Etat.

Et qu’importe, en cet instant, que la souveraineté de la Gambie semble passablement entamée. « Je suis si heureux que les soldats sénégalais soient arrivés. Je suis sûr qu’avec eux tout va être réglé. Nos militaires ne soutiennent pas le peuple. Ils ont tout fait pour que Yahya Jammeh reste au pouvoir. Nous n’avons aucune confiance en eux », déclare Pa Conteh qui, à 21 ans, n’a encore connu qu’un seul dirigeant. Tout le monde acquiesce autour de lui.

Les propos, quelques heures plus tôt, du chef d’état-major de l’armée gambienne, Ousman Badjie, personnage fantasque qui a servi « à 100 % Yahya Jammeh » mais se disant désormais prêt à appuyer « à 200 % ou 150 % Adama Barrow » ne suffisent pas à rassurer. Comment croire un patron de l’armée en treillis, sandales et chaussettes, capable d’entamer devant des journalistes les pas du tube Gangnam Style, de promettre d’offrir « des crèmes glacées » aux soldats sénégalais sur le point de débarquer dans sa capitale, tout en se dédouanant des années de répression ? Les changements de régime accouchent souvent de retournements de vestes spectaculaires.

Eviter « une chasse aux sorcières »

Samedi soir, le général Badjie était venu saluer une dernière fois « Son Excellence Sheikh Professor Alhadji Yahya Jammeh », qui se prévaut, entre autres titres et qualités, d’être « l’homme qui défie les rivières », avant qu’il ne s’engouffre dans l’avion du président guinéen Alpha Condé. Avec le chef de l’Etat mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, ce dernier a mené une médiation de la dernière chance conclue par un succès diplomatique. « Tout le monde est satisfait. Le plus important, c’était d’éviter la guerre », confiait en aparté Alpha Condé, quelques heures avant d’embarquer dans son jet l’ex-numéro un gambien dont le point de chute finale serait la Guinée équatoriale.

Progressivement lâché par les siens, sous la menace d’une opération militaire de la Cedeao, l’autocrate déchu est arrivé malgré tout à négocier un départ qui lui évite, pour l’heure, d’éventuelles poursuites. Dans une déclaration conjointe, la Cedeao, l’Union africaine et les Nations unies se sont en effet engagées à travailler avec les nouvelles autorités gambiennes pour assurer à l’ex-chef de l’Etat, à ceux qui l’ont servi et à ses partisans leur « sécurité », et leur éviter « une chasse aux sorcières » et que « leurs biens ne soient saisis ».

Les trois organisations internationales ont également promis de faire en sorte « que les pays hôtes qui offrent l’hospitalité africaine à l’ancien président Jammeh et sa famille ne deviennent pas la cible de harcèlement, d’intimidation ou toute autre forme de pressions ou de sanctions ».

Si Halifa Sallah, le porte-parole d’Adama Barrow, s’est évertué, dimanche en conférence de presse, à ne pas contester ces mesures permettant à la Gambie de réaliser « la révolution la plus pacifique de l’histoire de l’humanité », Dakar n’a pas tardé à minimiser la portée de ce document. Le chef de la diplomatie sénégalaise a ainsi considéré que le contenu de la déclaration n’équivalait pas à une impunité pour Yahya Jammeh.

Entre ce dernier, protecteur des derniers rebelles indépendantistes de Casamance – la région méridionale du Sénégal –, et Dakar, les relations étaient exécrables et le Sénégal n’attendait qu’une occasion pour obtenir la chute de ce turbulent voisin. L’intervention militaire de la Cedeao, baptisée « restauration de la démocratie » en Gambie, est avant tout une opération sénégalaise, comme l’a confirmé la nationalité des soldats arrivés jusqu’à présent à Banjul pour sécuriser le retour d’Adama Barrow.

La Gambie peut aujourd’hui, selon divers observateurs, craindre les visées hégémoniques du Sénégal qui n’a jamais totalement digéré l’indépendance de cette étroite bande de terre enserrée à l’intérieur de son territoire. Novice en politique, Adama Barrow, dont le retour devrait intervenir « très bientôt », saura-t-il s’affranchir de la tutelle de son encombrant protecteur ?

Gambie : les images du départ du dictateur Yahya Jammeh
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