Un certain nombre de médias américains avaient anticipé, au vu de la campagne présidentielle et des dix semaines menant de l’élection, début novembre 2016, à la cérémonie d’investiture, vendredi 20 janvier, que leur relation avec Donald Trump s’annonçait au mieux complexe et compliquée, au pire très difficile. La première journée en fonction du nouveau président, samedi 21 janvier, n’est pas venue démentir ce pressentiment. Au contraire.

Pour les médias, c’est « la façon habituelle de couvrir l’action d’un président » qui est remise en cause, écrit le Washington Post deux jours après l’investiture. Au point que certains ont commencé à adapter leur façon de procéder, comme CNN, qui, samedi, a choisi de ne pas diffuser en direct la première déclaration à la presse du nouveau porte-parole de la Maison Blanche. Une démarche saluée par plusieurs pairs, estimant que le rôle de la presse devait être « différent » pendant la présidence Trump.

A ce titre, certains journalistes américains considèrent qu’ils ont désormais un « choix à faire », à savoir « dire la vérité, ou garder un accès » à la présidence, mais qu’ils ne pourront « pas avoir les deux », comme l’a relevé sur Twitter Judd Legum, le créateur du site Think Progress.

  • Qu’ont dit, et fait, Trump et son équipe ce week-end ?

Alors que des millions de personnes défilaient aux Etats-Unis samedi 21 janvier, pour exprimer leurs inquiétudes face à Donald Trump, la première journée en fonction du nouveau président américain a, entre autres, consisté à taper publiquement sur la presse et les journalistes.

« Comme vous le savez, je suis actuellement en guerre contre les médias. Ils font partie des êtres humains les plus malhonnêtes de la planète », a déclaré Trump lors d’un discours à la CIA, samedi, reprochant aux journalistes d’avoir inventé ces derniers mois une défiance entre lui et le renseignement américain. Une défiance pourtant bien réelle :

Quelques heures plus tard, lors de son premier point officiel dans la salle bleue de la Maison Blanche, le nouveau press secretary Sean Spicer (le porte-parole de Trump et de son administration) s’en est pris vertement à la couverture médiatique de l’investiture du 20 janvier : « Il s’agissait du plus grand nombre jamais vu de personnes ayant assisté à une investiture présidentielle. Point à la ligne », a affirmé M. Spicer aux journalistes présents, estimant « honteuse » la posture des médias ayant voulu minimiser l’événement.

Une affirmation sans fondement, Sean Spicer expliquant dans le même temps qu’il n’est pas possible d’avoir des chiffres officiels, les autorités n’ayant pas procédé au comptage des personnes présentes à Washington (le National Park Service ne le faisant plus depuis 1995).

Mais cette déclaration avait surtout pour but de réfuter toutes les autres estimations parues dans les médias (à partir de comptages divers, de tickets de métro vendus à Washington, des audiences télé, etc.), et des images comparatives. Elles démontrent, à chaque fois, qu’une foule bien plus importante était présente à l’investiture de Barack Obama, en 2009.

  • Quelles ont été les réactions des médias américains ?

Sans avoir eu la possibilité de répondre en direct aux accusations de Sean Spicer, qui a terminé son briefing sans prendre de questions, les journalistes américains ont dénoncé les « fausses affirmations » de l’équipe Trump sur l’investiture : le Washington Post a, par exemple, décerné quatre « Pinocchios » à Sean Spicer, et le New York Times s’est même aventuré sur le terrain de la vérification météorologique.

Dans leurs colonnes, sur leurs comptes Twitter, à l’antenne de leurs chaînes de télévision, plusieurs figures ont également traduit leur stupeur de voir la présidence Trump aligner des contre-vérités si grossières. « La première fois que le press secretary de Donald Trump est confronté au public, c’est pour dire des mensonges », s’est ému dimanche matin le journaliste Chuck Todd, de NBC, face à Kellyanne Conway, la conseillère de Donald Trump.

Pour la chroniqueuse Margaret Sullivan du Washington Post, l’intervention de Sean Spicer a signé la « mort » de la confiance que les journalistes peuvent accorder aux informations de la Maison Blanche : « Les briefings à la presse (…) avaient une valeur et étaient diffusés comme étant de l’information. C’est terminé. Mort. » « Tous ceux dont le métier est de rapporter la réalité ne seront plus dans les bonnes grâces de la Maison Blanche. Si vous voulez conserver un accès à la Maison Blanche, vous devrez véhiculer leur propagande », a renchéri, sur Twitter, Judd Legum, de Think Progress.

Des questions qui étaient prévisibles : Donald Trump avait mené une campagne en alignant les contre-vérités, et fait de la critique des journalistes un axe central de sa candidature, puis de son arrivée au pouvoir.

Mais le symbole est d’autant plus criant lorsque des « réalités alternatives » sont brandies par un président et son équipe dès leur premier jour de mandat. Si « le débat sur la taille d’une foule est insignifiant en tant que tel, la guerre quotidienne pour déterminer si des mots ou des faits ont un sens est un problème colossal », a résumé un journaliste de NBC.

Le nouveau porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer, lors de sa déclaration le 21 janvier. | MANDEL NGAN / AFP

  • Comment le comportement de Trump et son équipe peuvent-ils influer sur les pratiques des médias ?

Pour le site d’informations Politico, il y a tout lieu de se réjouir de la nouvelle donne instaurée par Donald Trump. « A sa manière, Donald Trump nous libère, écrivait le journaliste Jack Shafer, dans un article du 16 janvier. Les reporters devront explorer les informations en dehors de leurs cercles habituels à Washington. (…) Oubliez les conférences de presse de la Maison Blanche. Il est temps de passer derrière les lignes ennemies. »

Selon Jessica Huseman, de ProPublica, citée par le Washington Post, « les journalistes n’obtiendront pas de réponses de Spicer. Nous aurons nos réponses en fouillant, en nous salissant nos mains. Alors, faisons-le. »

Au point où certains spécialistes des médias y voient une aubaine : « Donald Trump pourrait être pour les médias d’information la plus grande opportunité de construire un modèle économique viable », abonde Ken Doctor, analyste de l’industrie de la presse, sur le site du Nieman Lab. Il se félicite de voir de nombreux lecteurs retrouver le chemin du porte-monnaie pour soutenir la « presse libre ».

Le Washington Post et le New York Times ont par exemple enregistré une très forte hausse de leurs abonnements depuis novembre 2016 (+ 200 000 pour le New York Times). Ce qui a permis aux deux journaux d’annoncer des recrutements et des moyens supplémentaires pour renforcer leur journalisme d’investigation sous l’ère Trump.