Obéissant à une mécanique très précise, les comédiens-marionnettistes sont cachés derrière des cagoules. | Brigitte Enguérand/ collection Comédie-Française

En septembre 2015, les spectateurs de 20 000 lieues sous les mers, au Vieux-Colombier, se retrouvaient face à une sacrée surprise : une adaptation des aventures de Jules Verne avec des marionnettes. Le spectacle, joué à guichet fermé, a été récompensé par le Molière de la création visuelle. Repris à partir du 25 janvier, toujours au Vieux-Colombier, la pièce conserve son originalité, qui tient à la personnalité de ses deux créateurs : le sociétaire de la Comédie-Française Christian Hecq et Valérie Lesort, comédienne de formation et plasticienne, qui conçoit aussi des décors, accessoires, maquillages et effets spéciaux pour le cinéma (Le Cinquième Élément de Luc Besson).

En 2012, le couple crée « Monsieur Herck Tévé », une série de programmes courts pour Canal+, pour laquelle Valérie Lesort invente une marionnette hybride, moitié acteur, moitié pantin. Ils veulent poursuivre l’aventure. Alors nouvellement nommé à la tête du Français, Éric Ruf est ouvert à des projets inédits, et est emballé par leur envie de monter Jules Verne : « Il nous a juste demandé de ne pas engager de manipulateurs, mais de former les comédiens de la troupe à la marionnette. »

« Une marionnette est un instrument de jeu formidable qui prolonge le corps de l’acteur et en démultiplie les facultés. » Valérie Lesort, metteuse en scène

Tout s’accélère. « On écrivait en même temps que l’on répétait, il fallait réajuster en permanence », se souvient Valérie Lesort. Ils décident d’opter pour le théâtre noir, une technique de trucage où le spectateur ne peut voir qui anime les objets. Certains comédiens sont déroutés, comme le raconte Christian Hecq : « Elliot Jenicot, qui avait beaucoup de responsabilités de manipulation, m’a dit qu’il était très heureux de participer, mais qu’il avait peur qu’on ne le voie pas assez. Je lui ai expliqué que le plaisir de manipulation est au moins aussi grand que celui du jeu d’acteur. La première fois qu’on a joué et que la salle a ri aux éclats, il a soulevé sa cagoule et exulté : “Mais c’est génial !” Il faut un bon paquet d’humilité pour s’effacer ainsi. »

C’est armés de chaussons et de cagoules que les comédiens-marionnettistes évoluent. « Des contraintes qui obligent à être plus créatifs », comme le souligne Valérie Lesort. « Une marionnette est un instrument de jeu formidable qui prolonge le corps de l’acteur et en démultiplie les facultés. Chacune a un secret de manipulation qu’on ne connaît pas au départ et dont on découvre les possibilités au fur et à mesure », ajoute celle qui, avec Carole Allemand, a imaginé ces monstres marins que sont méduses et kraken.

Christian Hecq commente : « C’est une horlogerie trop précise pour permettre le moindre faux pas : machinistes, habilleuses, tous ont transpiré autant que nous. Un travail d’artiste tout autant que d’artisan ; aucun recours à l’image projetée, ni à la vidéo. « On voulait quelque chose d’un peu magique, avec cette impression que les poissons sont vraiment en suspension », précise Valérie Lesort. Résultat : un spectacle qui donne à revivre une sensation de l’enfance. « On n’imaginait pas que l’on ferait rire autant ni que l’on provoquerait autant d’émotion », commentent-ils, heureux d’avoir dépoussiéré l’image de la marionnette.

« 20 000 lieues sous les mers », de Jules Verne. Mise en scène Christian Hecq et Valérie Lesort. Vieux-Colombier, Paris 6. Du 25 janvier au 12 mars. www.comedie-francaise.fr