Le numerus clausus, qui fixe le nombre de places ouvertes au concours pour passer en deuxième année de médecine, est passé à 478 places dès cette année, pour atteindre un total de 8 124 places, avec une hausse ciblée sur les universités dans les déserts médicaux. Quentin Hennion-Imbault, vice-président chargé des études médicales de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), estime que cette hausse risque de renforcer le décalage entre la formation des étudiants et leur vie professionnelle future.

La hausse du numerus clausus a été présentée comme une mesure positive, tant par le ministère de l’enseignement supérieur que par celui de la santé. Partagez-vous cet enthousiasme ?

Quentin Hennion-Imbault : Nous sommes inquiets. Pour nous, le numerus clausus n’est pas la priorité. Les facultés et les stages sont déjà surchargés. On salue la volonté du ministère de vouloir régler le problème des déserts médicaux, mais la solution n’est pas idéale. En fait, le ministère augmente les effectifs avant de pouvoir accueillir les étudiants. Il devrait d’abord ouvrir davantage de stages.

L’augmentation du numerus clausus vous semble-t-elle en mesure de régler le problème des déserts médicaux ?

A l’origine de la démographie médicale se pose la question de l’attractivité du territoire. Et sur ce point, l’augmentation du nombre de places n’est pas la première solution. Il faut affiner l’offre, inciter davantage les étudiants et professeurs à s’installer en zone sous-dotées en médecins. Ces zones n’attirent plus, parce que les étudiants n’ont pas envie de travailler 80 heures seuls, ils veulent avoir une famille. Il faut réinventer le métier de médecin libéral et de médecin en zone périphérique, via la formation.

Pensez-vous que cibler la hausse du nombre de postes au sein des universités situées dans les déserts médicaux aura tout de même un impact ?

Il ne faut pas oublier qu’en fin de 6e année, les ECN (épreuves classantes nationales donnant accès au 3e cycle des études médicales) re-répartissent les étudiants sur l’ensemble du territoire, peu importe où ils ont été formés. Donc, les étudiants qui passent en 2e année dans une ville iront très probablement dans une autre ville après la 6e année. Il est par conséquent difficile de dire que le numerus clausus aura un vrai impact. Toute mesure incitative pour faire aimer les territoires aux étudiants est la bienvenue, mais celle-ci nous parait un peu faible et hasardeuse. Nous avons du mal à la blâmer en soi, nous la blâmons en raison de l’inadaptation de la formation et invitons à développer d’autres mesures.

Quels sont les facteurs qui rendent une zone attractive auprès des étudiants en médecine ?

L’attractivité est multifactorielle, mais nous n’avons pas d’étude vraiment sérieuse pour en connaître les raisons. Je dirais d’abord les infrastructures : un médecin n’envisage pas de s’installer dans une ville sans école, ni commerce, ni pharmacie. Le territoire doit être attractif en lui-même.

Puis, l’image du médecin de campagne qui travaille énormément, véhiculée par les médias ou le cinéma, fait probablement peur. Si, dès votre arrivée sur place, vous vous retrouvez à devoir soigner tout le monde, vous vous dites : « je vais me faire bouffer ». Comment faire pour ne pas sacrifier sa propre vie ? On ne parle pas assez des burn-out et suicides de médecins dans cette situation.

Pourquoi la question du stage est-elle épineuse pour les étudiants en médecine ?

Il faut que le nombre de patients par stagiaire soit adapté et qu’il y a ait un véritable encadrement. Non seulement, les universitaires n’ont pas assez de temps pour former les stagiaires – ils sont déjà très occupés parce qu’ils font tourner les facultés –, mais on manque de chefs de clinique et de moyens. Du coup, beaucoup d’hôpitaux utilisent les étudiants pour tenir le secrétariat. Théoriquement, ça devrait être gagnant-gagnant, mais dans les faits, cela prive les CHU d’externes.

Par ailleurs, il n’y a aucune obligation à rencontrer des pratiques de type médecin de campagne puisque seul un stage en médecine libérale est obligatoire pendant l’externat. Pour cette raison, nous essayons de développer les stages volontaires des étudiants, mais ce n’est pas institutionnalisé. On espère que ça aboutira, mais il y a peu de certitude.

Comment la formation pourrait-elle être plus adaptée au métier ?

Il faudrait faire réfléchir les étudiants plus tôt à comment ils exerceront ce métier. Les ECN ont lieu en fin de 6année, ce qui veut dire qu’on attend la 6e année d’études pour décider de notre vie. On n’a pas la même vie comme pneumologue que comme médecin général. Evidemment, cela nécessiterait une grosse réforme. Mais, parmi les éléments vraiment importants, on peut citer l’ouverture de stages en périphérique – hors de l’hôpital et en libéral.

Aujourd’hui, la majorité des stages sont effectués en CHU alors que les étudiants n’y pratiqueront pas pendant leur vie professionnelle. Par exemple, les étudiants n’ont pas forcément idée que la pneumologie en périphérique, ce n’est pas pareil qu’en CHU, que cela est beaucoup plus diversifié. Cela pourrait plaire aux étudiants s’ils avaient l’occasion de le découvrir. Pour l’instant, il ne leur est pas possible de se projeter parce qu’ils ne connaissent pas ces pratiques.

Enfin, les étudiants-médecins sont salariés de l’hôpital. Ils ne connaissent donc pas l’entrepreneuriat. Ils ont horreur de la paperasse administrative, du secrétariat, des cotisations Urssaf. Selon les villes, en internat, on trouve parfois des formations à l’aspect entrepreneurial du métier, mais pas en externat. On ne trouve pas de formation sur la gestion d’un cabinet, sans oublier que ce type d’enseignement prend du temps sur le reste de la formation. Il serait plus logique que les étudiants en fassent l’expérience en stage.