Manuel Valls, au soir du premier tour de la primaire à gauche, le 22 janvier, à Paris. | ERIC FEFERBERG / AFP

« Ce n’est pas moi qui aie une version dévoyée de la laïcité. » Le ton monte entre les deux rivaux de la primaire à gauche, à quelques jours du second tour. Attaqué par le camp Valls, Benoît Hamon a réagi mardi 24 janvier, dans la matinale de RFI, au « procès » qui lui est fait sur de prétendues ambiguïtés en matière de laïcité.

« On me fait le procès de quoi ? D’être élu de banlieue, d’être confronté à la réalité de ce communautarisme que je combats, autrement que par des mots. »

M. Hamon a indiqué qu’il éviterait « ce terrain de la spectacularisation de la vie politique » sans manquer, toutefois, de rappeler à son adversaire que « c’est le Conseil d’Etat qui lui a rappelé ce qu’était la loi sur le burkini quand il s’est porté au secours des maires interdisant le burkini ».

Deux conceptions de la laïcité

Dans ce débat relancé sur la laïcité, deux conceptions s’affrontent. D’un côté, la vision stricte — rigoriste, selon ses détracteurs — de Manuel Valls, invoquant la lutte contre les communautarismes et les droits des femmes.

Interpellé lors de « L’Emission politique » de France 2, le 13 janvier, par Attika Trabelsi, militante associative qui s’est déclarée « humiliée et blessée » par ses déclarations sur le voile — qui serait, selon lui, un « asservissement de la femme » —, Manuel Valls a livré sa propre définition de la laïcité :

« La laïcité, ce n’est pas un glaive, c’est un bouclier, c’est ce qui nous rassemble, il faut la chérir, ne pas l’instrumentaliser. La laïcité, c’est la capacité à vivre ensemble et c’est pour ça que je la défends. »

Pour Benoît Hamon, il faut « arrêter de faire de l’islam un problème » et revenir à une conception apaisée de la laïcité, en évitant de monter les Français les uns contre les autres.

Sur France 3, le 18 décembre, il expliquait ainsi :

« Ce qui me choque c’est l’usage et l’instrumentalisation de la laïcité à tous égards (…) Certains sortent des glaives pour en faire une arme contre une religion ou une autre. »

« Ce qui m’inquiète c’est que depuis l’affaire de la déchéance et du burkini cet été, j’ai entendu pour la première fois des gens me dire : “Je ne sais plus si je fais partie du ‘nous’ ou si je me trouve dans le ‘eux’” », ajoutait-il encore dans Libération le 5 janvier.

Ces conceptions différentes de la laïcité impliquent des propositions politiques et des points de vue divergents sur les différents thèmes qui en découlent :

  • Sur la place de la laïcité dans la loi

Dans la continuité de son souhait d’une laïcité apaisée, Benoît Hamon ne veut pas de nouveau légiférer à ce sujet : « Je serai le garant de laïcité telle qu’elle a été pensée en 1905. Une laïcité qui visait à ce que ceux qui croient et ne croient pas puissent librement le faire et en assurant la neutralité de la puissance publique et de l‘Etat, ni plus ni moins », expliquait-il sur France 3, le 18 décembre.

Manuel Valls souhaite, lui, aller plus loin que la simple loi de 1905 et affirme, dans son programme, vouloir inscrire sa conception de la laïcité dans une charte adossée à la Constitution. Cette conception est celle d’une « laïcité réaffirmée partout, qui protège sans blesser, qui soit expliquée à tous sans humilier personne, qui lutte contre tous les communautarismes sans jamais pointer du doigt tel ou tel pour sa croyance »

  • Sur leur critique de la présence d’une forme de communautarisme en France

« On va mettre le doigt sur le laxisme d’Hamon par rapport à l’islamisme », promettait au lendemain du premier tour un proche du candidat Valls. Pourquoi accuser le député des Yvelines de laxisme ? Des critiques qui s’ancrent, entre autres, sur fait que le fief électoral de M. Hamon est Trappes, l’une des villes françaises où la mouvance salafiste est particulièrement implantée.

« Benoît entretient un certain flou sur le communautarisme, » accusait ainsi le suppléant d’Hamon, Jean-Philippe Mallé, qui s’est éloigné de lui au point de songer désormais à voter Nicolas Dupont-Aignan à la présidentielle dans le portrait que lui ont consacré deux journalistes du Monde.

« Il victimise et essentialise les musulmans, les entretenant dans l’idée que la France ne fait pas tout ce qu’il faut pour les intégrer. »

M. Valls n’hésite pas à employer le terme de « communautarisme ». Sur France Info mardi 24 janvier, il évoquait ainsi des « risques d’accommodements » chez son concurrent, insistant sur sa propre ligne : « Il ne peut y avoir le moindre compromis avec des communautarismes. »

Benoît Hamon, lui, récuse le terme. Il avait expliqué sur France inter, lundi 23 janvier que, ce qu’il « n’accepte pas, c’est que derrière ce mot, communautarisme, il y ait finalement une volonté de dire que l’islam est incompatible avec la République. Ça n’est pas vrai. C’est insupportable que l’on continue à faire de la foi de millions de nos compatriotes un problème dans la société française ». Pour lui, le problème est plus générique : « Arrêtons de faire de l’islam un problème de la République. »

Concernant la notion d’« accommodements » empruntée aux Canadiens, il avait déclaré le 26 août à Saint-Denis : « Quelle attitude la République doit-elle adopter ? Elle doit, comme toujours dans le passé, chercher et trouver un compromis entre la reconnaissance du fait religieux et les limites posées à l’extension du domaine religieux. Les Canadiens appellent cela les “accommodements raisonnables”. Pour ce qui a trait à l’islam, je considère pour ma part que si on accepte une véritable interaction, sans paternalisme, sans artifice ni faux semblant, on constatera que la matrice des valeurs communes existe bien et qu’elle nous permet de dépasser les points de discorde et de bâtir ces accommodements qui dans le respect de la laïcité et des principes de la République permettront à l’islam en France de trouver une place semblable à celle des autres religions ».

  • Sur la place des femmes dans l’espace public

« Je considère qu’aucune femme ne peut être exclue d’un lieu public », lançait Manuel Valls à la tribune. Une référence directe aux propos de Benoît Hamon lors d’un entretien sur France 3 le 18 décembre.

Benoît Hamon y est interpellé sur la diffusion d’un reportage à Sevran (Seine-Saint-Denis), montrant des cafés interdits aux femmes. Interrogé sur ce qu’il pense de cette situation, le député des Yvelines répond en affirmant :

« Dans les cafés ouvriers il n’y avait pas de femmes, historiquement (…) Là en l’occurrence, on parle de cafés à Sevran parce qu’on estime ou on apprécie que l’espace public soit confisqué aux femmes parce qu’il serait à majorité musulmane, mais d’abord remettons des questions sociales avant de mettre des questions religieuses sur ces sujets-là. »

Des propos qui lui avaient valu de nombreuses critiques en déni de sexisme, sur lesquels il s’était expliqué quelques jours plus tard sur BFM-TV.

« Il ne faut surtout pas dire que le sexisme serait réservé à un seul type de café et le machisme à un type de population. En l’occurrence, les musulmans. (…) Le sexisme est-il né juste de l’existence ses cafés en banlieue ? Non, il existe depuis des décennies. »

Benoît Hamon avait, sur France 3, invoqué plus largement la responsabilité de la République dans l’existence de telles situations : « Qu’il y ait une pression faite sur certaines femmes par un certain nombre de fondamentalistes religieux, ils existent. Moi je ne l’ignore pas et la République, elle, doit être forte pas simplement dans le fait de punir mais dans le fait de garantir la liberté de chacun de s’épanouir. »

  • Sur le port du voile

En 2010, Manuel Valls était l’un des rares députés socialistes à voter la loi interdisant le voile intégral dans l’espace public, marquant son choix d’une « laïcité exigeante ». Deux ans plus tard, alors porte-parole du candidat Hollande lors de la campagne pour la présidentielle, il se dit opposé à laisser des femmes voilées accompagner des sorties scolaires.

Lors de « L’Emission politique » de France 2, le 16 janvier, l’ancien premier ministre expliquait à une militante associative voilée être « inquiet de cette mode [pour évoquer le voile]. Attention aux messages que vous faites passer aux jeunes femmes et jeunes filles. »

« Qu’est-ce que cette idée que les cheveux, le visage d’une femme seraient impudiques ? Il y a une loi qui a été votée interdisant le voile intégral. »

En avril 2016, le désormais candidat à la primaire à gauche se déclare favorable à l’interdiction du voile à l’université dans un entretien à Libération.

Mardi matin sur RFI, Benoît Hamon a critiqué les positions de Manuel Valls sur l’interdiction du voile à l’université. Il avait déjà affirmé son opposition à cette dernière dans une interview à Libération, en juillet 2016.

  • Sur le financement du culte musulman

Benoît Hamon n’est pas pour que la décision de construire, ou non, un lieu de culte soit prise par les mairies. Dans ce même entretien à Libération en juillet 2016, il explique préférer l’idée d’une taxe sur le halal, dont le fonds pourrait être géré par « l’organe central de gouvernance du culte musulman, le Conseil français du culte musulman (CFCM) ou ce qui pourrait lui succéder » et dont les recettes serviraient à la construction des mosquées.

« Cela donnerait davantage d’autonomie aux musulmans pour financer leurs lieux de culte, tant vis-à-vis de l’étranger que vis-à-vis des stratégies clientélistes que ne manqueraient pas de développer les municipalités. »

Manuel Valls, lui, veut réserver le financement de l’islam en France à la Fondation pour l’islam de France et à l’Association cultuelle nationale

« L’islam de France doit se financer en France, libéré des influences étrangères. […] C’est pour cette raison qu’a été relancée la Fondation pour l’islam de France […]. Elle sera un bel outil de rayonnement et de collecte de fonds […] pour le financement du patrimoine culturel de l’islam de France. L’association cultuelle nationale, qui pourra recueillir des fonds privés destinés au financement du culte proprement dit, complète ce dispositif. »

L’ancien premier ministre est par ailleurs le seul des deux finalistes de la primaire à gauche à mentionner dans son programme une position sur l’encadrement du culte musulman, se prononçant pour la conservation du Conseil français du culte musulman « en l’ouvrant à la diversité de l’islam et aux nouvelles générations ».