AUREL

Un an après l’ébranlement sans précédent que fut pour l’Eglise catholique française l’affaire Bernard Preynat – du nom du prêtre qui aurait sexuellement agressé des dizaines de scouts de Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône) dans les années 1970 et 1980 –, la Conférence des évêques de France (CEF) a publié, lundi 23 janvier, les premières statistiques depuis six ans sur la pédophilie dans ses rangs.

Selon la CEF, il y aurait actuellement neuf prêtres, diacres ou religieux emprisonnés pour des violences sexuelles sur des mineurs (autant qu’en 2010), tandis que 37 seraient sortis de prison après l’exécution de leur peine. Le nombre de mis en examen (26, contre 45 en 2010) serait en revanche en nette diminution. L’Eglise aurait en outre signalé en six ans 137 faits au parquet.

Pour la première fois, l’épiscopat établit un recensement des victimes qui se sont manifestées auprès des institutions ecclésiales. Elles seraient au nombre de 222. « Parmi elles, certaines dévoilaient des faits anciens ou très anciens, pour lesquels les auteurs pouvaient être morts », note la CEF. Plus de 60 % des témoignages concernent des faits survenus avant 1970, 35 % des faits survenus entre 1970 et 2000 et 4 % des agressions révélées ont été commises depuis les années 2000.

Ces données ont été établies par la cellule permanente de lutte contre la pédophilie de la CEF. « Un questionnaire a été adressé à tous les évêques à l’automne [2016] », explique Ségolaine Moog, déléguée de cette cellule. Après les révélations, fin 2015, sur la gestion de la carrière du père Preynat par le diocèse de Lyon, les autorités catholiques avaient mis plusieurs mois à réagir. Depuis la condamnation de l’évêque de Bayeux, Pierre Pican, en 2001, pour non-dénonciation de faits de pédophilie commis par un prêtre de son diocèse, elles estimaient avoir pris la mesure du problème.

« Assez peu de sanctions »

En avril 2016, la CEF a fini par annoncer plusieurs mesures destinées à prévenir les dérives, comme la mise en place de cellules d’écoute dans les diocèses. Pour conseiller les évêques ne sachant trop que faire des prêtres de leur diocèse condamnés ou soupçonnés d’atteintes sexuelles sur mineurs, elle a institué une commission d’experts qui a commencé à travailler en juillet. « Nous avons été saisis de dix cas par sept évêques et nous avons pour l’instant rendu huit avis », indique son président, Alain Christnacht. Il s’agit de prêtres de moins de 75 ans, et « dans tous les cas la justice en avait été saisie ». Contre certains, elle a prononcé des condamnations. Dans d’autres cas, elle a classé l’affaire par manque de preuves ou en raison de la prescription des faits, mais des doutes demeurent.

« Les évêques nous consultent notamment pour savoir quoi faire de ces prêtres, pour évaluer les risques de récidive », témoigne Alain Christnacht. Les préconisations varient en fonction de plusieurs caractéristiques (ancienneté et nombre des faits, reconnaissance ou non de culpabilité par leur auteur, écart d’âge avec les victimes…). Elles comportent souvent des traitements psychologiques. Dans certains cas, notamment lorsque les clercs en cause nient tout en bloc, la question de leur « réduction à l’état laïc » se pose. « C’est une décision assez ambiguë, car cela sort le prêtre en question de la responsabilité de l’Eglise, qui n’a plus de prise sur lui », note Alain Christnacht.

A La Parole libérée, l’association créée à Lyon il y a un an par d’anciennes victimes du père Preynat, le flux des signalements, intense pendant plusieurs mois, s’est ralenti. « La fenêtre médiatique est clairement passée », note son président, François Devaux. Mais la volonté de transparence et d’action contre la pédophilie affichée par l’Eglise ces derniers mois ne convainc pas toujours les victimes. « Nous sommes choqués par le manque de sincérité du discours de l’Eglise, affirme François Devaux. Cette manière de ne pas prendre position, de se centrer sur la douleur des victimes ne nous satisfait pas. Nous, nous demandons que l’on agisse et qu’on ne laisse pas des pédophiles en place. »

« Le sentiment d’une justice parallèle »

Ancien scout de Sainte-Foy-lès-Lyon et victime du père Preynat, Alexandre est à l’origine de l’action de la justice dans cette affaire. Il juge « plutôt bien » les diverses annonces de l’épiscopat mais doute malgré tout de leur portée réelle. « On voit assez peu de sanctions contre les pédocriminels, et on peut se demander si quelque chose a vraiment changé depuis l’affaire Pican, relève-t-il. On a le sentiment d’une justice parallèle faite pour laver son linge sale en famille. L’institution ne se sent pas vraiment concernée. Si on ne dépense pas une énergie surhumaine, rien ne se passe. On est obligés de forcer les choses. »

C’est aussi l’impression exprimée par Jean-Pierre Martin-Vallas. Cet ancien élève du petit collège Saint-Louis-de-Gonzague, à Paris, géré par les jésuites, tente depuis des années d’obtenir la reconnaissance des attouchements qu’il a subis, en 1953, de la part de l’aumônier de l’établissement, la recherche d’éventuelles autres victimes du père Lamande, la vérité sur ce que sa hiérarchie savait, ou non, à l’époque. A la suite de la publication de son histoire, les jésuites ont édité en septembre un document intitulé « Face aux situations d’abus sexuels – Prévention et actions ».

Deux ans plus tôt, ils avaient constitué un groupe d’accueil chargé de prendre en charge les victimes de ce type de faits. « Ils m’ont dit qu’ils voulaient faire la lumière. Mais plusieurs fois je leur ai demandé : cette lumière, qu’en faites-vous ? Je n’ai jamais eu de réponse à cette question », affirme Jean-Pierre Martin-Vallas.