Très critiqués par les associations de consommateurs et les spécialistes, les contrats d’assurance dépendance ont des progrès à faire. | Google Images

Assurer les conséquences de la perte d’autonomie pour permettre aux personnes âgées dépendantes de faire face aux dépenses supplémentaires qu’entraîne leur état ? L’idée n’est pas nouvelle : elle existe depuis quasiment trente ans en France. Mais elle n’est pas pour autant arrivée à l’âge adulte : les contrats mis au point font toujours l’objet de violentes critiques de la part des associations de consommateurs et des spécialistes.

Des montants insuffisants

Annie de Vivie, qui a fondé le site d’informations pour les seniors et les aidants, Agevillage.com, estime notamment que les assurés sont déçus : « Au fil du temps les cotisations deviennent souvent insupportables et ceux qui deviennent dépendants se voient fréquemment opposer un refus de prise en charge, car, même s’ils sont reconnus en perte d’autonomie par les organismes sociaux, ils ne le sont pas suffisamment pour l’assureur. »

A l’UFC-Que choisir, Mathieu Escot, responsable des études, pointe d’autres faiblesses : « Nous regrettons l’imprévisibilité de ces contrats, car les garanties ne se mettent en marche – en cas de dépendance – que vingt ou vingt-cinq ans après la souscription. Les montants assurés se révèlent quant à eux souvent largement insuffisants par rapport aux besoins, puisque le coût du travail augmente plus vite que la revalorisation des rentes garanties. » Il regrette aussi le manque de visibilité sur les cotisations, « qui peuvent augmenter sans fin », et l’existence d’une sélection médicale, « problématique puisqu’il n’existe que des assureurs privés pour couvrir ce risque ». Au chapitre des critiques, on peut ajouter des conditions qui ne sont pas toujours claires, des mécanismes de déclenchement des garanties variables d’un assureur à l’autre, des délais de carence et de franchise qui annulent ou retardent le moment du paiement des garanties…

Un assuré peut s’estimer dépendant et demander à bénéficier de son assurance, alors que l’assureur lui opposera un refus.

Pour François Lusson, actuaire associé du cabinet Actense, le paysage est contrasté : « La dépendance totale, celle qui se traduit par l’impossibilité d’effectuer seul une majorité d’actes de la vie quotidienne (se déplacer, se vêtir, se toiletter, se nourrir…), apparaît à l’expérience véritablement assurable, car il existe désormais suffisamment de recul sur ce risque. Il n’y a d’ailleurs pas beaucoup de contentieux dans ce domaine. » En revanche, poursuit-il, « la couverture dépendance partielle est délicate, car plus difficile à définir contractuellement, ce qui engendre des zones d’interprétation ». Un assuré peut donc s’estimer dépendant et demander à bénéficier de son assurance, alors que l’assureur lui opposera un refus.

Le sujet de la dépendance partielle est d’autant plus délicat qu’il coûte plus cher à assurer, puisque la probabilité de mettre en œuvre la garantie est plus élevée, et que les enjeux sont moins maîtrisables. « Si l’on découvre demain une molécule qui bloque la maladie d’Alzheimer, par exemple, on arrêtera l’évolution de la maladie, mais cela entraînera une augmentation de l’indemnisation en dépendance partielle et, simultanément, une diminution de la dépendance totale », poursuit M. Lusson. Pour les assureurs, c’est donc une inconnue de taille, qui se traduit encore par des définitions contractuelles des couvertures et des tarifs très variables d’un assureur à l’autre. « Les assureurs ont su faire converger les définitions et les tarifs des garanties dépendance totale, ils sauront également prendre des paris maîtrisés à l’avenir pour la dépendance partielle », conclut M. Lusson.

Paradoxalement, il n’est pas possible d’accuser les assureurs de se mettre l’argent dans les poches. « Même au périmètre de la dépendance totale, depuis le lancement de ces garanties, on ne peut pas dire que les assureurs ont gagné de l’argent sur ce risque », prévient M. Lusson. D’autant moins qu’ils ne peuvent plus compter sur les performances des marchés pour réaliser des marges financières sur le placement de leurs provisions.

Reculs des pouvoirs publics

Du côté des assureurs, Bernard Spitz, président de la Fédération française de l’assurance (FFA), parle d’un « sentiment général d’insatisfaction dû au décalage avec les besoins », mais pointe les reculs des pouvoirs publics. « Nous nous étions mobilisés pour accompagner la réforme promise sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, dit-il. Mais celle-ci a été reportée chaque année, puis abandonnée. Et rebelote sous la gauche ! » Les assureurs restent donc seuls sur ce front pour pallier l’insuffisante allocation personnalisée d’autonomie (APA).

Pour faire avancer le dossier, la profession a créé un label « GAD assurance dépendance » en 2013, destiné à harmoniser l’offre et à fournir un socle de garanties plus solides que celles proposées de manière éparse sur le marché. « Ce label offre une référence utile, poursuit M. Spitz. Il impose un vocabulaire et des définitions communes, le paiement d’une rente viagère d’au moins 500 euros par mois, des modalités de revalorisation des garanties définies contractuellement, de l’information, des conditions de maintien de l’assurance en cas d’interruption de paiement des cotisations. »

Depuis son lancement, une dizaine de produits concurrents portent ce label, représentant 60 % des nouveaux contrats souscrits. Malgré tout, les assurés resteront toujours confrontés à l’hétérogénéité des définitions publiques et privées de la dépendance, puisque les assureurs ont choisi comme dans d’autres pays des critères d’indemnisation fondés sur la possibilité ou non d’effectuer des actes de la vie quotidienne, quand les services sociaux se basent sur les classifications administratives de la grille Aggir, qui distingue six degrés de dépendance – les groupes iso-ressources (GIR).

Une politique que les assureurs ne semblent pas près d’abandonner. « Le critère des actes de la vie quotidienne est celui qui est le plus souvent retenu à l’étranger et le moins contestable. C’est aux pouvoirs publics de faire le choix de la simplicité pour les assurés, plutôt que le confort du jargon bureaucratique », estime M. Spitz. Autant dire que le chantier de la couverture dépendance est bien loin d’être terminé…

Cet article fait partie d’un dossier réalisé en partenariat avec l’Ocirp, Franceinfo et LCP.