Documentaire sur Arte à 23 h 15

Extraits de Hissein Habre,une tragedie tchadienne. Mahamat Saleh Haroun2016
Durée : 06:31

C’est une plongée dans l’horreur, dans l’enfer d’une dictature qui a ensanglanté le Tchad de 1982 à 1990. Dans son documentaire Hissein Habré, une tragédie tchadienne, le cinéaste Mahamat-Saleh Haroun fait témoigner les survivants d’un régime qui a fait régner la terreur par sa redoutable police politique, la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS). Pendant des années, la DDS a méthodiquement emprisonné, torturé et violé. « Il relevait presque de mon devoir de raconter cette histoire, parce que c’est la mienne et, au-delà, celle de l’Afrique et de ses tragédies, explique le réalisateur tchadien, auteur de Grigris, qui fut présenté en sélection officielle au Festival de Cannes en 2013. J’ai voulu donner la parole à des victimes qui portent en elles cette souffrance depuis longtemps. Certaines se battent pour obtenir justice. »

Les historiens considèrent que le régime d’Hissène Habré, qui s’est maintenu en place avec le soutien de la France et des Etats-Unis, est responsable de 40 000 morts. Ce chiffre ne doit toutefois pas faire oublier le calvaire de ceux qui ont survécu, mais dont la vie a été brisée par la torture, qui était permanente dans les geôles du despote. Il occulte tous ceux qui ont survécu, mais avec les mains ou les rotules brisées parce qu’on y avait enfoncé des clous. Il ne raconte pas les traumatismes psychologiques des innocents qui ont dormi dans des cellules au milieu de cadavres, ni les séquelles de ceux qui ont été aspergés d’insecticide dans les yeux ou ligotés derrière une voiture, la bouche collée au tuyau d’échappement. Quand ils s’expriment le ­visage face à la caméra, il est souvent difficile de soutenir le regard de ces hommes et de ces femmes.

Scènes extrêmement poignantes

Clément Abaïfouta, président de l’Association des victimes, est le personnage central du film. Au cours de ses quatre ans de prison, celui qui était devenu fossoyeur a enterré tellement de détenus qu’il a arrêté de les compter. « Avec lui, je les exhume symboliquement et je déterre aussi la parole de ceux qui sont presque devenus des morts-vivants après avoir été emprisonnés et torturés », explique Mahamat-Saleh Haroun, installé en France après s’être exilé à l’âge de 17 ans.

Il y a de nombreuses scènes ­extrêmement poignantes dans ce documentaire exceptionnel. L’une d’elles montre les « retrouvailles » entre une victime et son ancien bourreau, qui tente de se dédouaner avant finalement d’implorer à genoux le pardon. « J’étais un soldat, j’exécutais les ordres du chef, rappelle-t-il, en serrant dans ses mains ses anciens instruments de torture. J’étais un chien à qui on a donné un ordre… »

extrait du documentaire de Mahamat-Saleh Haroun « Hissène Habré, une tragédie Tchadienne ».Hissène Habré est soupçonné d'être responsable de la mort de presque 40 000 personnes. | © Pili Films

Bien qu’il se soit engagé à dialoguer avec l’une de ses victimes, un autre tortionnaire refusera de se présenter devant la caméra, laissant son ancien détenu seul avec ses souvenirs et sa douleur infinie.

L’arrestation, en 2013 au Sénégal, d’Hissène Habré a marqué la fin d’un long combat pour ses victimes puisque la bataille judiciaire a duré quinze années. A Dakar, en mai 2016, l’ex-dictateur a été ­condamné par un tribunal spécial africain à la prison à perpétuité pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Si ce procès historique n’a pas permis de déterminer combien de vies furent brisées par ce régime de terreur, le documentaire a l’immense mérite de donner un nom et un visage à une partie des victimes qui y ont survécu. « Aujourd’hui, elles marchent la tête haute, explique Mahamat-Saleh Haroun. Elles ont retrouvé une dignité qui leur avait été volée. »

Hissein Habré, une tragédie tchadienne, de Mahamat-Saleh Haroun (Fr. -Tch., 2016, 80 min).