Des manifestants en faveur de l’« Obamacare », le 15 janvier, à Denver (Colorado). | CHRIS SCHNEIDER / AFP

Barack Obama l’a portée à bout de bras depuis son premier mandat. Considérée comme l’une des grandes réalisations du président sortant, la réforme du système de santé est déjà menacée. Donald Trump a promis de l’abroger. Le jour de son arrivée à la Maison Blanche, vendredi 20 janvier, il a signé son premier décret présidentiel en ce sens, ordonnant aux agences gouvernementales d’alléger les réglementations liées à l’« Obamacare », en attendant une décision du Congrès sur le remplacement de la loi.

Deux semaines plus tôt, Barack Obama avait enjoint ses alliés démocrates à « se battre » contre la suppression annoncée de sa réforme, adoptée en 2010 au terme d’un véritable marathon législatif.

Une réforme sans précédent en un demi-siècle

Promulguée le 23 mars 2010 après de multiples affrontements avec les républicains, la loi sur la protection des patients et les soins abordables (Patient Protection and Affordable Care Act) organise une réforme du système de santé sans précédent en un demi-siècle.

Elle a été conçue pour offrir une couverture médicale aux 53 millions d’Américains qui en étaient dépourvus. Avec cette loi, les assureurs n’ont plus le droit de faire varier le montant des primes d’assurance selon les antécédents médicaux, de refuser d’assurer un patient trop coûteux, ou de plafonner le montant des remboursements, des pratiques qui conduisaient autrefois des malades graves à la ruine.

La réforme oblige aussi les assureurs à couvrir des services comme les hospitalisations, les visites aux urgences, ou des soins préventifs comme le dépistage du diabète et certains vaccins. Autre aspect populaire, la possibilité pour les enfants de rester sur l’assurance de leurs parents jusqu’à 26 ans.

En échange, la loi oblige chacun à s’assurer, sous peine d’une amende d’au moins 695 dollars – de cette façon, les cotisations des personnes en bonne santé compensent les coûts des plus malades. Cette obligation hérisse les républicains, qui voient en elle une ingérence du gouvernement fédéral dans la vie quotidienne des Américains et un impôt déguisé.

Débuts chaotiques

En octobre 2013, la réforme s’est concrétisée avec l’ouverture en ligne de l’enregistrement sur le portail Healthcare.gov. Mais le processus a été rapidement affecté par des problèmes informatiques.

Temps d’attente invraisemblables, pages gelées, messages d’erreurs à la fin du processus d’inscription, calcul erroné des crédits d’impôts, erreurs dans les transmissions des informations aux assureurs : le gouvernement a dû lancer en urgence une révision des complexes systèmes informatiques et reconnaître que le site n’avait pas été assez testé. La secrétaire à la santé de l’époque, Kathleen Sebelius, a assumé la responsabilité de cette « débâcle » en présentant ses excuses et en s’engageant à faire fonctionner rapidement le site.

Quatre ans plus tard, la réforme a permis d’accroître le nombre d’assurés de près de 20 millions, et de faire chuter spectaculairement le nombre de personnes sans assurance de 16 % en 2010 à 8,9 % en 2016, selon la Maison Blanche – un niveau historiquement bas. Mais pour les plus de dix millions d’individus qui devraient s’assurer en 2017 par le portail « Obamacare », les prix vont toutefois augmenter de 25 %.

L’abrogation de la loi sera complexe

Donald Trump peut-il rayer cette loi emblématique de la présidence Obama d’un trait de plume ? La manœuvre n’est pas si aisée. Comme l’a expliqué au Monde Nicole Bacharan, historienne et politologue franco-américaine, la perspective qu’elle puisse être abrogée « crée une panique générale » :

« Les Américains sont très inquiets ; 22 millions de personnes nouvellement assurées ne savent pas ce qui va se passer. L’inquiétude est partagée par les assureurs, les hôpitaux… Même dans le camp républicain, les modalités de sa suppression divisent. Trump ne perçoit à l’évidence pas la complexité de la chose. Il s’agit de cinquante Etats, avec cinquante systèmes différents, c’est extrêmement complexe à changer. »

De son côté, Barack Obama estime que, s’il est facile d’abroger une loi, il l’est moins de la remplacer avec un système alternatif viable et moins coûteux, et sans rogner les acquis que les Américains se sont appropriés.

Le plan républicain, tel que décrit par le président de la Chambre des représentants Paul Ryan, consiste à supprimer l’obligation d’assurance, au nom de la liberté de choix ; à supprimer les conditions de revenus pour les aides, dont le montant baissera ; et à regrouper les patients « à risque » dans des groupes d’assurance subventionnés par les Etats, afin de désengager l’Etat fédéral. En revanche, les républicains ne veulent pas toucher à la possibilité pour les enfants de rester sur l’assurance de leurs parents jusqu’à 26 ans.

Ils promettent une abrogation de l’« Obamacare » et le vote rapide d’une loi de substitution afin d’éviter un trou de couverture et de rassurer le secteur des assurances. Donald Trump a demandé que ce soit « simultané », une gageure vue la complexité du dossier. L’« horrible chose » « totalement désastreuse » qu’il n’a eu de cesse de dénoncer pendant sa campagne pourrait l’accompagner encore un moment.