Malek Boutih, à Paris en 2014. | STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Les propos de Malek Boutih contre la conception de la laïcité de Benoît Hamon sont loin de faire l’unanimité au sein de l’équipe de campagne de Manuel Valls. Mardi 24 janvier, le député de l’Essonne a accusé, dans le quotidien 20 Minutes, l’ancien ministre de l’éducation nationale d’être « en résonance avec une frange islamo-gauchiste ». Une formule choc qui s’inscrit dans une série d’attaques venues ces derniers jours du camp Valls contre le député des Yvelines, trop indulgent à leurs yeux vis-à-vis de l’islam radical en France.

Depuis les résultats du premier tour de la primaire, Manuel Valls et plusieurs de ses proches ont décidé en effet de cibler l’élu de Trappes, une ville de banlieue parisienne où la mouvance salafiste est particulièrement implantée, sur sa conception de la laïcité. Interrogé mercredi matin sur France Inter, l’ancien premier ministre a de nouveau déclaré qu’« il y a un débat à gauche sur la conception de la laïcité », reprochant à Benoît Hamon son « ambiguïté » sur la question de la lutte contre le communautarisme et évoquant « dans un certain nombre de quartiers, la radicalisation dont certains n’ont pas pris suffisamment conscience ». « Nous aurons ce débat sur la conception de chacun de la laïcité », a répété Manuel Valls, quelques heures avant le débat télévisé entre les deux hommes, mercredi soir.

Benoît Hamon a été accusé de relativiser la gravité des discriminations, après la diffusion d’un reportage de France 2 montrant des cafés dans des banlieues françaises où les femmes ne sont pas les bienvenues. L’ancien ministre avait alors expliqué en décembre que « dans les cafés ouvriers, historiquement, il n’y avait pas de femmes », semblant minimiser la situation ou la renvoyer à de simples considérations sociales.

Mais les attaques contre lui divisent au sein de l’équipe Valls. « C’est un point qui fait débat entre nous », reconnaît un membre de l’état-major. Si tous sont d’accord pour poser le sujet sur le fond, la forme employée par Malek Boutih, comme par d’autres qui, en off, désignent Benoît Hamon comme « le candidat des Frères musulmans », ne passe pas.

« Ce n’est pas ce qu’on attend de nous »

Plusieurs responsables de la campagne de Manuel Valls, interrogés par Le Monde, se désolidarisent des propos de l’ancien président de SOS Racisme. « Islamo-gauchistes, moi ce ne sont pas mes mots », déclare le député de l’Ardèche et porte-parole Olivier Dussopt. Didier Guillaume, le directeur de campagne, explique lui aussi que « Malek Boutih est le seul à avoir utilisé ces mots. Manuel Valls n’emploie pas les mêmes termes et la seule chose qui compte, c’est ce que dit Manuel Valls ».

De son côté, le sénateur du Val-de-Marne, Luc Carvounas, vallsiste historique, se fait encore plus clair : « Je ne suis pas d’accord avec cette approche, ce n’est pas ce qu’on attend de nous dans ce débat », précise-t-il. Pour le maire d’Alfortville, qui doit accueillir dans sa ville jeudi soir le seul meeting de la semaine de Manuel Valls, « l’entre-deux tours ne peut pas servir à Malek Boutih pour régler ses comptes avec des maires de banlieue. L’islamo-gauchisme n’est pas dans les rangs du Parti socialiste, il est à l’extrême gauche. Benoît Hamon n’est pas mon ennemi, il est membre du PS comme moi ».

Une majorité des proches de Manuel Valls ne veulent donc pas éviter le débat, mais veulent éviter la caricature, tandis que certains responsables, « minoritaires » selon l’entourage du candidat, poussent pour un discours plus raide. « Il faut bien sûr parler de la laïcité et du fait communautariste. La phrase de Benoît Hamon sur certains cafés en banlieue est trop ambiguë pour qu’il ne soit pas questionné. Mais tout dépend du niveau auquel on met le curseur », explique Olivier Dussopt.

« Les conneries de Boutih et des autres »

« Malek Boutih a sa propre vision des choses, il a son propre prisme, mais il soulève de vrais sujets », estime au contraire Christophe Caresche. Pour le député de Paris, « Benoît Hamon incarne une gauche trop classique sur la laïcité, qui refuse de voir la montée de certains phénomènes communautaristes dans des quartiers de banlieue, encouragés parfois par des élus qui ont fermé les yeux pour avoir une forme de paix sociale. Ce débat doit être posé ».

A cinq jours du second tour, dimanche 29 janvier, ce choix du durcissement est-il le bon pour Manuel Valls, qui doit rattraper son retard dans les urnes sur Benoît Hamon ? Certains de ses soutiens en doutent, craignant au contraire qu’il ne pousse certains électeurs à venir voter contre l’ancien premier ministre. « Manuel veut mobiliser pour lui, mais avec les conneries de Boutih et des autres, il prend le risque de mobiliser à gauche contre lui », s’inquiète un de ses partisans.

Plusieurs poids lourds de sa campagne considèrent qu’il doit plutôt insister sur les différences économiques et sociales entre son projet et celui de Benoît Hamon. Le meilleur moyen, selon eux, de faire venir voter dimanche de nouveaux électeurs, notamment plus âgés et soucieux des questions de pouvoir d’achat ou de retraites.

« Notre différend fondamental avec Benoît Hamon, c’est le revenu universel. Les électeurs socialistes ne peuvent pas se reconnaître dans une mesure qui n’est pas une notion de gauche, mais qui est une mesure défendue par les libéraux pour remettre en cause la société du travail », explique Didier Guillaume. Et le sénateur de la Drôme de préciser : « Je souhaite que le débat de ce soir porte longtemps sur le revenu universel ». Plutôt que sur d’autres sujets…