Le pape Frannçois, aux côtés de Matthew Festing, grand-maître de l’Ordre de Malte, le 23 juin 2016 au Vatican. | GABRIEL BOUYS / AFP

Un spectaculaire affrontement entre le pape François et le grand-maître de l’Ordre de Malte s’est conclu, mercredi 25 janvier, par la démission du second à la demande du premier. Reçu mardi après-midi par le pontife argentin, Fra’ Matthew Festing, en principe nommé à vie, a accepté de démissionner à la demande du pape, a fait savoir l’organisation caritative. Le dignitaire britannique doit encore réunir son conseil souverain pour que la démission soit formellement entérinée.

Ce coup de théâtre intervient après deux mois de tension entre le Vatican et l’Ordre de Malte, fondé en 1048 à Jérusalem et actif dans quelque 120 pays, où ses membres et bénévoles gèrent notamment des hôpitaux et des dispensaires. Au point que ces deux vénérables institutions catholiques ne se parlaient plus que par communiqués acrimonieux. L’organisation avait en effet refusé, au nom de sa souveraineté, une enquête interne ordonnée par le pape François.

Eviction controversée

Le déclenchement de l’affaire remonte au 6 décembre 2016. Ce jour-là, comme l’a raconté le quotidien catholique La Croix, le grand-maître de l’Ordre souverain de Malte, Fra’ Matthew Festing, a exigé la démission de son grand chancelier (l’un des principaux responsables du gouvernement de l’Ordre), l’Allemand Albrecht von Boeselager. Devant le refus du grand chancelier d’obtempérer, le grand-maître finit par le démettre de ses fonctions.

La raison de cette éviction ? Selon l’hebdomadaire catholique britannique The Tablet, elle serait à rechercher du côté des préservatifs qui auraient été distribués à des personnes contaminées par le VIH pour prévenir des contaminations, du temps où Albrecht von Boeselager était responsable des questions humanitaires de l’organisation. L’Allemand aurait expliqué dans un courriel avoir été limogé car trop « libéral ».

Au Vatican, certains observent que ce limogeage intervient aussi au moment où le frère d’Albrecht von Boeselager a été nommé au sein du conseil d’administration de la Banque du Vatican, en plein assainissement après avoir été éclaboussée par des scandales ces dernières années.

Le 22 décembre 2016, le pape François avait demandé à une commission constituée de cinq prélats et présidée par l’archevêque Silvano Tomasi, ancien observateur permanent du Saint-Siège aux Nations unies, d’enquêter sur cette éviction. Le lendemain, l’ordre religieux laïque avait, dans un communiqué, déclaré « inacceptable » cette décision du pontife argentin, le limogeage du grand chancelier étant « un acte de gouvernement interne de l’Ordre souverain de Malte et, par conséquent, relev[ant] uniquement de sa compétence ». L’Ordre est en effet un sujet de droit international (sans territoire), reconnu par plus d’une centaine d’Etats et régi par une charte constitutionnelle.

Le 10 janvier, le site de l’Ordre publiait un nouveau communiqué « en réponse aux activités menées par un groupe nommé par le secrétaire d’Etat [numéro 2] du Vatican ». Il y affirmait « l’insignifiance légale de ce groupe » et son intention de ne « pas coopérer avec lui ». Une semaine plus tard, le 17 janvier, le Saint-Siège ripostait en confirmant sa « confiance » au groupe nommé par le pape François « afin de l’informer », dénonçait « toute tentative de discrédit » contre ses membres et priait l’Ordre de coopérer. Dans une lettre divulguée par The Tablet, Matthew Festing accusait des membres de la commission d’être liés à « un fonds à Genève ». Le blocage semblait total. Il s’est résolu par la démission annoncée mercredi.

Polémique sur les divorcés remariés

Déjà inusuel en soi, ce duel au grand jour se greffe sur une controverse au sein de l’Eglise sur les divorcés remariés, ancienne puisqu’elle avait nourri des mois de débats en 2014 et 2015 lors des deux synodes de l’Eglise catholique sur la famille, mais qui a repris de l’acuité fin 2016.

En novembre, le vaticaniste Sandro Magister avait rendu publique une lettre adressée au pape François. Signée par quatre cardinaux connus pour leurs positions conservatrices, exprimées notamment à l’occasion des synodes, elle demandait au pontife de faire la lumière sur cinq points considérés comme obscurs de son exhortation apostolique sur la famille, Amoris lætitia.

Ces dubia (« doutes », en latin) concernaient en particulier l’accès aux sacrements des divorcés remariés. Pour de nombreux lecteurs, Amoris lætitia leur ouvrirait désormais cette possibilité dans certaines conditions. Cette innovation heurte les plus conservateurs. Le pape François n’a, semble-t-il, pas répondu à cette lettre. En revanche, dans un entretien au quotidien catholique Avvenire, il a critiqué « un certain rigorisme » concernant la famille : « Certains ne comprennent toujours pas, pour eux tout est blanc ou tout est noir, même si la vie aide à discerner. »

Le 30 novembre, à la veille de la Journée mondiale contre le sida du 1er décembre, il a par ailleurs appelé à ce que « tous adoptent des comportements responsables pour prévenir une propagation ultérieure de cette maladie », sans préciser si cela concernait l’usage des préservatifs.

Or, l’un des cardinaux auteurs de la lettre sur les dubia, le cardinal Raymond Burke, était présent, le 6 décembre, aux côtés de Fra’ Matthew Festing, lors du limogeage d’Albrecht von Boeselager. Cet ultraconservateur revendiqué avait été écarté de la curie par le pape François en 2014 et envoyé comme représentant auprès de l’Ordre de Malte – un poste essentiellement honorifique. Le rôle qu’il a pu jouer dans la crise entre le Saint-Siège et l’Ordre reste à éclaircir.