François Hollande visite un site d’Airbus Safran Launchers aux Mureaux, le 14 novembre 2016. | IAN LANGSDON / AFP

Haro sur l’Etat actionnaire ! En deux jours, pas moins de trois rapports s’intéressent à cet acteur de la vie économique aussi décrié que sans cesse sollicité. Après la publication, mardi 24 janvier, par l’Institut Montaigne d’une note intitulée « L’Impossible Etat actionnaire », la Cour des comptes présentait, mercredi matin, son copieux rapport sur le sujet, tandis que le Sénat publiait l’après-midi un avis plus spécifique sur la politique des dividendes de l’Etat actionnaire.

C’est peu de dire que ce dernier, aujourd’hui fort de quelque 1 800 participations dans des entreprises détenues à travers l’Agence des participations de l’Etat (APE), la Caisse des dépôts et consignations ou la Banque publique d’investissement, est aujourd’hui critiqué. Et notamment par David Azema, l’ex-patron de l’APE, auteur de la note de l’Institut Montaigne.

L’actuel banquier d’affaires, qui a œuvré à Bercy de 2012 à 2014 pour la professionnalisation de l’agence et l’a dotée d’une doctrine plus cohérente, estime que les deux termes « Etat » et « actionnaire » ne peuvent aujourd’hui coexister, tant ils sont opposés. « L’Etat ne sait pas, et ne doit pas, se résoudre à n’être qu’un actionnaire », écrit-il dans sa note.

Si un actionnaire recherche la rentabilité, l’Etat ne peut guère se concentrer sur ce seul objectif. Et pour cause, comme le rappelle la Cour des comptes, « l’Etat actionnaire coexiste avec l’Etat porteur de politiques publiques et prescripteur de missions de service public ». En clair, il doit mener de front des politiques toutes légitimes, mais souvent concurrentes et potentiellement contradictoires, ce qui peut rendre son action illisible ou incohérente.

Cet automne, l’affaire Alstom a démontré toute la complexité de la position de l’Etat. Actionnaire, grâce à un prêt d’actions de Bouygues, du constructeur ferroviaire et, à ce titre, intéressé à la rationalisation du nombre de ses sites industriels, l’Etat a refusé la fermeture de l’usine de Belfort. Le gouvernement s’est alors mué en sauveur de ce site historique, en faisant des commandes de rames TGV, forçant au passage la main à la SNCF, l’une des entreprises publiques dont il a la responsabilité.

« Horizon indépassable »

« Souvent, les préoccupations de défense des intérêts patrimoniaux de l’Etat et de l’intérêt des entreprises à participation publique passent après d’autres objectifs poursuivis par les pouvoirs publics », relève la Cour des comptes. « Les tensions se manifestent principalement dans les secteurs où l’Etat est l’actionnaire dominant ou exclusif : transports ferroviaires, énergie nucléaire, audiovisuel public », poursuivent les magistrats financiers. La SNCF, EDF ou Engie subissent souvent les décisions de leur ministère de tutelle, celui du développement durable.

Qu’il s’agisse de construire une nouvelle ligne à grande vitesse qui sera impossible à rentabiliser ou de refuser une évolution des prix de l’énergie, les entreprises publiques peuvent être bridées. « L’Etat n’est pas un Homo economicus comme les autres et ne le sera jamais : le vouloir actionnaire, c’est espérer de lui ce dont il n’est pas capable ni responsable », déclare David Azéma. « C’est un fait, reconnaît un haut fonctionnaire, mais il faut composer aujourd’hui avec cet horizon indépassable. »

Comment ? Selon la Cour des comptes, « certains pays étrangers séparent strictement les activités des entreprises publiques de la sphère gouvernementale. » En donnant plus d’autonomie à l’APE, cela pourrait permettre de limiter les interférences avec le politique. Sera-ce suffisant ? Sans doute pas.

L’Institut Montaigne propose d’aller plus loin. « En reconnaissant que l’Etat peut être légitime à intervenir au capital d’activités économiques mais que cela doit être une exception », écrit le think tank. Si l’Etat peut aider à sauver PSA ou Dexia, il n’a pas intérêt à rester à leur capital ad vitam aeternam. En revanche, pour certains services publics dont la privatisation n’apporterait rien sur le long terme, comme la SNCF ou EDF, l’Etat doit rester actionnaire et les contrôler pleinement.

« Ancrage »

Selon cette vision, l’Etat pourrait également confier à la Banque publique d’investissement un certain nombre de participations minoritaires que l’APE détient et en privatiser d’autres. « Etre présent au capital de certaines sociétés peut permettre leur ancrage sur le territoire », relève cependant Maurice Vincent, le sénateur Les Républicains, rapporteur d’un avis sur les dividendes de l’Etat actionnaire.

Dans son rapport, la Cour des comptes reste plus prudente, mais, sur le fond, elle propose également de revoir à la baisse le périmètre d’intervention de l’Etat. Selon les magistrats financiers, l’Etat gagnerait à réduire la taille de son portefeuille de sociétés en jouant sur tous les leviers juridiques et réglementaires dont il dispose.

Alors qu’il réglemente les secteurs des télécoms, du gaz ou des aéroports, l’Etat pourrait réduire ses participations capitalistiques dans des sociétés comme Orange, Engie ou Aéroports de Paris. Tout en conservant une influence forte, cela permettrait de faire entrer de l’argent dans les caisses, bien vides, du Trésor. Le débat ne fait que commencer à quelques mois de l’élection présidentielle.