Penelope et François Fillon, le 18 novembre 2016. | CHARLES PLATIAU/REUTERS

Editorial du « Monde ». En novembre 1965, trois semaines avant la première élection présidentielle au suffrage universel, le ministre de l’intérieur, Roger Frey, conseille au général de Gaulle d’attaquer directement son principal adversaire. Il extrait d’un dossier la photo de François Mitterrand, arborant la francisque et serrant la main du maréchal Pétain, en 1942. « Pourquoi ne permettriez-vous pas que sortent quelques bonnes vérités cachées ? », demande le ministre. « Non, je ne ferai pas la politique des boules puantes », tranche de Gaulle.

Il fut bien le seul. Affaire Markovic contre Pompidou avant l’élection de 1969, feuille d’impôt de Chaban-Delmas avant celle de 1974, diamants de Bokassa contre Giscard d’Estaing à l’approche de 1981, patrimoine de Balladur en 1995, engagement trotskiste de Jospin avant 2002, affaire Clearstream manigancée contre Sarkozy avant 2007…, coups bas et coups tordus contre tel ou tel candidat n’ont plus jamais manqué.

Depuis deux jours, c’est François Fillon qui est la cible d’une telle torpille. Le Canard enchaîné a révélé que, pendant une douzaine d’années, son épouse, Penelope, a été employée par lui comme assistante parlementaire lorsqu’il était député, puis par son suppléant lorsque lui-même était ministre ou premier ministre.

Enquête préliminaire

Si l’embauche comme collaborateur d’un membre de sa famille par un député est légale (et fréquente), encore faut-il que cet emploi corresponde à un travail effectif. Or, à ce stade, cela semble tout sauf évident dans le cas de Mme Fillon.

En outre, les sommes évoquées (quelque 500 000 euros sur une douzaine d’années) correspondent à un salaire très supérieur à celui, en moyenne, d’un attaché parlementaire. Le parquet national financier a d’ailleurs immédiatement ouvert une enquête préliminaire pour détournement de biens publics, abus de biens sociaux et recel.

« La séquence des boules puantes est ouverte », a commenté François Fillon le 25 janvier, avant de demander à être entendu par le parquet financier « dans les plus brefs délais pour rétablir la vérité ». Il y a effectivement un intérêt vital, tant cette affaire est dévastatrice pour le candidat de la droite.

Accommodements avec la probité élémentaire

C’est son image qui est touchée de plein fouet – celle d’un homme qui prône le « courage de la vérité » et qui n’a pas hésité à lancer à l’adresse de Nicolas Sarkozy, alors son concurrent dans la primaire de la droite, « Qui imagine un seul instant le général de Gaulle mis en examen ? », celle enfin d’un présidentiable qui affirmait hautement il y a quelques semaines : « On ne peut pas diriger la France si l’on n’est pas irréprochable ».

Mais c’est aussi son projet qui risque de devenir inaudible : comment demander aux Français des efforts pour redresser les comptes publics, comment plaider la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires, comment déclarer la guerre à l’assistanat si les révélations de ces derniers jours s’avèrent peu ou prou fondées ?

L’on voudrait toujours croire que les responsables politiques sont, précisément, assez responsables pour ne pas reproduire sans cesse ces accommodements avec la probité élémentaire, voire ces infractions à la loi, qui minent en profondeur la confiance des citoyens dans leurs dirigeants. La seule et unique façon de ne pas nourrir le soupçon – et le poujadisme qui l’accompagne – est d’être « irréprochable », pour reprendre le terme de François Fillon. A lui de faire la démonstration qu’il l’a été.