A Maputo, le président turc Recep Tayyip Erdogan  et le président mozambicain Filipe Nyusi avec leur épouse, le 24 janvier 2017. | KAYHAN OZER/AFP

Il est allé droit au but. « Nous demandons cordialement votre soutien pour combattre les gülénistes partout dans le monde », a déclaré le président turc lors d’une tournée en Afrique de l’Est qui s’est achevée, mercredi 25 janvier, à Antananarivo. Poursuivant sa traque contre les réseaux du prédicateur Fethullah Gülen, qu’il accuse du putsch raté en juillet 2016, Recep Tayyip Erdogan s’est rendu successivement en Tanzanie, au Mozambique et à Madagascar. Officiellement, pour renforcer des liens diplomatiques et économiques encore balbutiants, alors qu’Ankara mise sur le continent africain depuis maintenant plus d’une décennie. Mais sans pour autant faire mystère du caractère éminemment politique de son voyage.

Mardi, à Maputo, M. Erdogan a demandé aux autorités mozambicaines d’appuyer sa lutte contre « les terroristes gülénistes », qui a déjà mené à l’arrestation de 43 000 personnes en Turquie depuis l’été. Des purges qui ont ciblé policiers, fonctionnaires, magistrats, journalistes, ainsi que de nombreux enseignants, accusés de soutenir la confrérie. « Nous savons qu’ils sont présents ici au Mozambique. Ils ont infiltré l’armée turque, la police turque, les institutions turques, et répètent leurs initiatives et leur agenda caché dans le monde entier, a-t-il justifié lors d’une conférence de presse, tenue conjointement avec son homologue mozambicain, Filipe Nyusi. Ils ont un vaste réseau d’écoles et d’associations dans le monde entier et un large réseau ici au Mozambique. Ce qu’ils ont tenté de faire en Turquie, ils essaieront de le faire ici tôt ou tard », a-t-il averti.

Au Mozambique, une seule école appartiendrait au mouvement Hizmet (du turc « service ») de l’imam Gülen. Exilé aux Etats-Unis depuis 1999, celui-ci nie avec véhémence toute implication dans la récente tentative de coup d’Etat. Dans les années 2000, avant qu’il ne devienne l’ennemi juré du président Erdogan en 2013, ses réseaux secrets et puissants avaient servi la diplomatie turque à investir le continent africain. Le mouvement, qui compte aussi des ONG et des entreprises, serait solidement implanté dans une quarantaine de pays d’Afrique subsaharienne.

Etablissement scolaire de référence

Face à M. Erdogan, le président mozambicain s’est bien gardé de commenter la situation politique en Turquie et d’évoquer la requête particulière de son homologue turc. Lors de la conférence de presse conjointe organisée au palais présidentiel, Filipe Nyusi a qualifié la rencontre de « cordiale » alors que l’ambiance entre les deux délégations était loin de déborder d’enthousiasme. Les journalistes étant privés de questions, ni le cas d’un programmeur informatique mozambicain de 27 ans détenu en octobre 2016 et accusé d’être lié aux gülénistes, ni celui de l’école Willow International de Maputo (güléniste), menacée de fermeture d’après les spéculations des médias locaux, n’ont été directement évoqués.

Un silence qui n’est sûrement pas un hasard : comme ailleurs en Afrique, le complexe scolaire de 1 300 élèves est un établissement de référence pour l’élite mozambicaine, qui accueillerait plusieurs enfants de ministres et d’ambassadeurs. D’après le site Internet officiel de Fethullah Gülen, le propre ministre mozambicain de la défense, Atanasio M’tumuke, aurait aidé à l’implantation de l’école dont il serait le président d’honneur. Sur ce même site, Filipe Nyusi lui-même se serait déclaré un « fervent supporter de ces écoles », lors d’une rencontre avec des directeurs d’établissements scolaires turcs en juin 2015.

« M. Erdogan ferait mieux de résoudre ses problèmes politiques dans son pays plutôt que d’aller à droite et à gauche pour tenter d’exporter sa chasse aux sorcières », confie un député mozambicain d’opposition qui veut conserver l’anonymat. Selon lui, le coût politique associé à la fermeture d’une école prestigieuse est trop difficile à assumer, pour le seul bénéfice d’un pays qui ne figure pas parmi les premiers partenaires commerciaux du Mozambique.

Plusieurs pays africains ont obtempéré

En Tanzanie et à Madagascar, où respectivement onze et deux écoles seraient financées par la fondation Gülen, la démarche d’Erdogan semble avoir suscité la même prudence. Déjà en août 2016, Dar es-Salaam s’était opposé à la fermeture des écoles assimilées au mouvement Hizmet, après des protestations organisées devant l’ambassade turque. Mercredi, à Antananarivo, le président turc a bien proposé que les écoles passent sous la tutelle de la fondation Maarif, sans succès. Le président malgache, Hery Rajaonarimampianina, a botté en touche : « Vous allez trop vite dans les solutions. Nous allons gérer cette situation avec intelligence. Nous verrons dans l’avenir l’évolution de cette question », rapporte L’Express de Madagascar.

A ce jour, dans la guerre que le président turc livre contre les réseaux Gülen en Afrique, la Somalie, le Sénégal, le Niger, le Tchad, la Guinée équatoriale et, plus récemment, le Maroc, ont accédé à la demande d’Ankara. A l’inverse, le Nigeria et le Kenya, où des dizaines d’établissements scolaires sont liées à Hizmet, lui ont opposé une fin de non-recevoir.

A chaque étape de sa tournée est-africaine, Recep Erdogan, qui était accompagné de 150 entrepreneurs turcs, a multiplié les incitations visant à faire croître les échanges commerciaux au cours de forums d’affaires organisés dans les trois capitales. Au total, une vingtaine d’accords bilatéraux mineurs ont été signés, alors que la Turquie lorgne sur le secteur de la construction en Tanzanie, du gaz au Mozambique et du tourisme à Madagascar.

Le président turc a martelé une approche « gagnant-gagnant », soulignant, mardi soir à Maputo : « Nous savons très bien qui a exploité l’Afrique. Nous savons ce que l’Afrique a enduré. » Un discours qui ne lui a pas permis d’obtenir l’appui espéré dans sa traque aux gülénistes.