L’association 350.org s’oppose au mécénat de Total au Louvre, décembre 2015. | Bruno Levesque/IP3

« Libérons le Louvre de l’industrie fossile. » Tel est le mot d’ordre de l’association 350.org, qui a lancé le 13 janvier une pétition en ligne appelant le musée parisien à boycotter l’un de ses principaux mécènes, le groupe pétrolier Total. « Nous voulons que le Louvre puisse poursuivre ses missions et son ambition de tisser des ponts entre les civilisations passées et les générations actuelles comme à venir. Certaines pièces ont traversé plus de dix millénaires d’histoire, et sont menacées par l’intense combustion de charbon, de gaz et de pétrole à laquelle l’humanité se livre depuis à peine deux siècles », dénonce le collectif international. Ses membres s’étaient déjà manifestés en novembre 2015, pendant la COP21, en déversant de la mélasse, métaphore de la marée noire, dans le hall du musée.

« Les compagnies pétrolières prétendent qu’elles rendent service à l’industrie culturelle, mais c’est l’inverse. Ce sont les musées qui redorent l’image des compagnies. » Isabelle Frémeaux, Le Laboratoire d’imagination insurrectionnelle

Une action inspirée de celles menées outre-Manche par les pourfendeurs des combustibles fossiles et de l’artwashing (écoblanchiment transposé au champ de l’art). Dans leur collimateur, la firme anglo-néerlandaise BP, mécène de la Tate, de la National Portrait Gallery et du British Museum. Tout commence lorsqu’Isabelle Frémeaux et John Jordan, membres du collectif Le Laboratoire d’imagination insurrectionnelle, sont invités en 2010 par la Tate pour animer un atelier. Peu de temps avant le jour J, les artistes reçoivent un courrier leur demandant instamment de ne pas s’en prendre au musée ni à ses sponsors. Difficile de respecter l’injonction quand le sujet du workshop porte sur l’art et la désobéissance ! Ce sera le début du mouvement Liberate Tate qui organisera dix-neuf happenings en six ans, enfantant au passage d’autres coalitions comme Art Not Oil ou BP or not BP ?

Pour ces défenseurs d’une « culture décarbonée », il est temps d’en finir avec le mécénat non éthique. « Les compagnies pétrolières prétendent qu’elles rendent service à l’industrie culturelle, mais c’est l’inverse, insiste Isabelle Frémeaux. Ce sont les musées qui redorent l’image des compagnies. » Les chiffres de la contribution de BP à la Tate lui donnent raison. De 1990 à 2006, le groupe aura donné en moyenne 286 000 euros par an, une goutte d’huile dans les rouages du mastodonte londonien.

Au bout de six ans, Liberate Tate obtient gain de cause : le musée met un terme au contrat qui le liait depuis vingt-six ans à la firme pétrolière. La même année, le Science Museum rompt ses relations avec la compagnie Shell, après la révélation des pressions subies sur le contenu de sa galerie Atmosphere, destinée à informer le public sur les risques du réchauffement climatique. Total est à la France ce que BP ou Shell sont à la Grande-Bretagne : un mécène omniprésent. L’entreprise a notamment financé en 2015 l’exposition « Osiris, mystères engloutis d’Égypte » à l’Institut du monde arabe, reprise l’année suivante par le British Museum… grâce au soutien de BP.

« Ces entreprises essayent de négocier dans le même temps des forages gaziers avec l’Égypte », avance Nicolas Haeringer, porte-parole de 350.org. Et d’ajouter : « On cible Total en particulier parce qu’il y a des angles morts dans leur stratégie. Ils manient le double langage et veulent se présenter comme une compagnie responsable, alors qu’ils veulent développer des gisements de pétrole et de gaz dans des régions sensibles, avec des pratiques risquées et polluantes. »

Un happening de Liberate Tate contre le partenariat entre la Tate Gallery et BP, en 2011 à Londres. | Amy Scaife/AP/Sipa

Pour le Louvre, pas question de se priver d’un mécène qui a contribué à la restauration de la galerie d’Apollon, en 2004, ainsi qu’à l’ouverture du département des Arts de l’Islam et du Louvre-Lens, en 2012. « Les salles ou propositions de parcours ne sont pas rebaptisées du nom du mécène, contrairement aux pratiques des pays anglo-saxons qui se rapprochent davantage du sponsoring ou du parrainage en contrepartie d’une visibilité hautement affirmée », plaide Jean-Luc Martinez, président du musée, dans un courrier adressé à 350.org. Qu’importe. L’association prévoit en février une action au sein du Louvre, « sur un registre solennel, en jouant sur le noir comme couleur du pétrole et du deuil », promet Nicolas Haeringer. Isabelle Frémeaux en est convaincue, ces interventions artistico-militantes feront mouche à Paris, comme précédemment à Londres. « C’est juste une question de temps. »