Sur le plateau du débat, mercredi soir. | BERTRAND GUAY / AFP

Deux hommes pour deux visions de la gauche. Benoît Hamon et Manuel Valls, finalistes de la primaire à gauche, ont affiché leurs profondes divergences, mercredi 25 janvier lors du débat télévisé d’entre-deux-tours.

Les deux hommes ont défendu pied à pied leur vision de la gauche, sur le travail et la laïcité notamment, mais sans tomber dans les excès qui avaient caractérisé leurs échanges ces derniers jours, soucieux visiblement de ne pas donner le spectacle de deux gauches « irréconciliables ».

  • Le travail

Les deux candidats ont, dès le début du débat, exposé leur vision très différente de la place du travail dans la société française.

Benoît Hamon, pour justifier le revenu universel, la mesure-phare de son programme, a mis en avant « les bouleversements auxquels sera confronté le monde du travail avec la révolution numérique ». « La raréfaction du travail a commencé », a-t-il poursuivi, faisant valoir que 10 % des emplois étaient menacés d’ici à 2025 par l’automatisation. « Je pense qu’il vaut mieux anticiper un processus, quitte à ce qu’on se trompe, en équipant ceux qui connaissent ces nouvelles formes de travail », a détaillé M. Hamon, en montant au créneau pour défendre le coût jugé « exorbitant » par son rival, ainsi que le calendrier, du revenu universel.

L’ancien ministre de l’éducation propose une mise en œuvre par étapes du revenu universel. Il souhaite notamment augmenter le RSA pour le porter à 600 euros par mois et verser un revenu universel du même montant « pour les 18-25 ans sans condition de ressources », « pour les agriculteurs qui touchent 350 euros par mois ou encore les jeunes start-upers », une mesure qu’il estime à 45 milliards d’euros et qu’il compte financer par une simplification de la fiscalité sur le patrimoine.

Réponse de Manuel Valls : « Je ne crois pas à la raréfaction du travail. » Pour l’ancien premier ministre, la proposition d’un revenu universel est « un message de découragement, d’abdication par rapport au changement ». « Ce que les Français demandent, c’est de travailler davantage, c’est d’être mieux formés, mieux armés », a dit celui qui propose la défiscalisation des heures supplémentaires – une des mesures phare du quinquennat Sarkozy –, la création d’une sécurité sociale professionnelle et la suppression des cotisations sur les petits salaires.

Manuel Valls sur le plateau du débat télévisé, mercredi soir. | BERTRAND GUAY / AFP

« Il ne s’agit pas uniquement de faire rêver, il s’agit aussi d’être crédible », a lancé l’ancien hôte de Matignon, qui se veut « le candidat de la fiche de paie », reprenant à son compte le slogan de campagne d’Arnaud Montebourg, quand Benoît Hamon serait « le candidat de la feuille d’impôts ». Avec le revenu universel, « on renonce à la société du travail, on accepte le chômage », a souligné Manuel Valls. Et d’ajouter :

« L’idée de distribuer la même somme à chacun me paraît éloignée de cette idée du travail. »

Benoît Hamon a souligné que le revenu universel à destination des 18-25 ans permettrait de libérer 600 000 emplois occupés par des étudiants. « Il ne faut pas raisonner seulement en termes de ce que ça coûte, mais aussi de ce que ça rapporte », a argué Benoît Hamon qui a également exposé son souhait d’encourager la baisse du temps de travail, en défendant notamment la semaine de 32 heures, quand Manuel Valls, lui, a préféré rappeler les réalisations du quinquennat comme l’augmentation de 10 % du RSA et souligner les problèmes de crédibilité des propositions de Benoît Hamon.

  • Laïcité et le port du voile

Ce sont les questions dont les équipes de Manuel Valls avaient décidé de faire leur cheval de bataille dans cet entre-deux-tours, et sur lesquelles les deux candidats ont pu finalement s’expliquer, mercredi soir. Depuis le début de la semaine, l’ancien premier ministre accuse l’élu des Yvelines d’entretenir des « ambiguïtés » à l’égard de l’islamisme radical.

Accusations qu’il a réitérées, mercredi, accusant son adversaire de « compromission », à travers l’exemple des liens qui ont existé en 2016, entre Alexis Bachelay, porte-parole de M. Hamon, avec le Comité contre l’islamophobie en France (CCIF). Selon M. Valls cette association « explique que dans notre pays les musulmans sont pourchassés et qu’il existe une religion d’Etat qui voudrait s’en prendre aux musulmans ». Au cœur de ces accusations réside le fait que le CCIF est fréquemment taxé de proximités avec les Frères musulmans, ce que l’organisation conteste.

« J’ai bien vu le procès qui m’a été fait » a rétorqué M. Hamon. « Florian Philippot, Marine Le Pen, j’ai bien compris… J’ai l’immense privilège comme Alain Juppé d’être moqué sur les réseaux sociaux avec des prénoms d’origine maghrébine ou arabe (…). Aujourd’hui, les arguments du FN sont repris contre moi » a accusé M. Hamon, visant certains soutiens vallsistes sans les nommer.

Benoît Hamon sur le plateau du débat télévisé, mercredi soir. | BERTRAND GUAY / AFP

« Je ne fais pas partie de ceux qui, dans notre pays, ceux que j’appelle les néoconservateurs, pensent que, dans la République, un bon musulman est un musulman qui ne serait pas musulman », s’est-il encore défendu.

« Non, ils ont le droit de pouvoir exprimer ce que sont leurs convictions. (…) Sur ce terrain, la droite et l’extrême droite sont en train d’utiliser la laïcité de telle manière que, oui, elle est utilisée comme un glaive contre nos compatriotes musulmans, qui n’ont rien à voir avec cela mais qui se sentent directement concernés par la stigmatisation. »

Pour Manuel Valls, la laïcité « n’est pas un glaive, c’est une conviction » mais aussi un « combat politique » contre la « pression des salafistes qui veulent imposer leur ordre ». Il conteste que l’interdiction de certains signes religieux dans l’espace public « stigmatiserait quelqu’un », et se revendique de « la laïcité de Caroline Fourest et d’Elisabeth Badinter » qui s’inscrit, selon lui, dans un combat pour « l’émancipation des femmes ».

Benoît Hamon de son côté, invite à faire la distinction entre « le voile (qui) est imposé à une femme » et les cas où une « femme librement décide de porter le foulard islamique » et qui « au nom de la loi de 1905 est libre de le faire. » Il a ajouté :

« Une fille ou une femme voilée, quand le voile est le symbole de l’asservissement, objectivement rien ne doit être laissé de côté pour le combattre. Mais attention à ce qu‘avec cette loi (de 1905) on ne remette pas en cause la liberté de croire ou de ne pas croire. »
  • Affaire Pénélope Fillon

En fin d’émission, les deux candidats ont été invités à s’exprimer sur le fait que le parquet financier a ouvert une enquête préliminaire pour établir les circonstances dans lesquelles la femme de François Fillon a été rémunérée comme attachée parlementaire, après les révélations du Canard enchaîné, mercredi. MM. Valls et Hamon ont tous les deux jugé nécessaire d’interdire l’emploi par un parlementaire d’un parent proche.

« Vous imaginez le général de Gaulle employant tante Yvonne”[son épouse] à l’Elysée ? », a ironisé M. Valls en estimant que « quand on est le candidat de la vérité, de la vertu et de la transparence, on doit cette explication ». « La conséquence que j’en tire, c’est qu’à l’Assemblée nationale comme au Sénat, on interdise la possibilité d’employer un cousin, un enfant ou un conjoint », a abondé M. Hamon, en appelant à « ne pas tergiverser » en la matière.

  • De Mélenchon à Macron, quelle gauche ?

Interrogé sur le fait de savoir de qui ils se sentaient les plus proches entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, M. Hamon a commencé par estimer que sur les questions de révolution numérique il se sentait « plus proche de M. Macron » tandis que « sur la transition écologique [il a] des points d’accord avec Jean-Luc Mélenchon ». Du reste, s’il avait à choisir, M. Hamon a expliqué :

« Je suis de gauche, et Jean-Luc Mélenchon est de gauche. Emmanuel Macron se dit ni de droite ni de gauche. La gauche commence avec ceux qui se disent de gauche. »

Répondant à la même question, Manuel Valls s’est, lui, dit du côté des « progressistes, de Benoît Hamon à Emmanuel Macron ».

Enfin, après avoir tergiversé sur la question depuis le début de la semaine, Manuel Valls s’est, à l’instar de Benoît Hamon, engagé à respecter les règles de la primaire. « J’accepterai le verdict de cette élection » a affirmé M. Hamon, quand M. Valls a lancé : « Attendons dimanche mais moi je respecte les règles, ça n’a pas toujours été le cas de Benoît ces dernières années. » Ultime coup de griffe à l’attention de l’ancien frondeur du gouvernement.