Donald Trump, le 23 janvier dans le bureau Ovale. | NICHOLAS KAMM / AFP

Donald Trump a commencé sa première semaine à la Maison Blanche en marquant la rupture avec son prédécesseur. Depuis son investiture, le nouveau président américain a signé de nombreux décrets, notamment sur l’Obamacare, la construction d’un mur avec le Mexique ou l’immigration. Lors d’un tchat consacré à ses débuts dans le bureau Ovale, le correspondant du Monde à Washington, Gilles Paris, à répondu à des questions d’internautes.

Raradu06 : Qu’a fait Donald Trump depuis son arrivée, concrètement ?

Gilles Paris : Bien qu’il dispose d’une majorité au Congrès, Donald Trump multiplie les décisions présidentielles, usant de pouvoirs exécutifs que les républicains critiquaient lorsqu’ils étaient utilisés par son prédécesseur démocrate. Ces signatures permettent au président d’afficher l’« action », opposée à la « parlote », revendiquée dans son discours d’investiture. Les executive orders et presidential memoranda signés par le nouveau président traduisent cependant une volonté politique, plus qu’une action spécifique. Il faut se souvenir que le premier décret signé par Barack Obama concernait la fermeture de la prison de Guantanamo. On a vu que ce vœu pieux n’a pas pu se traduire dans les faits tout au long de ses deux mandats.

Seb : Comment se fait-il que Trump puisse si rapidement/facilement « effacer » par de simples décrets ce que l’administration Obama a mis tant de temps à mettre en place en passant par le Congrès ?

Une partie de ce sur quoi revient Donald Trump relève de décisions présidentielles, par exemple le dossier de l’oléoduc Keystone, ou la Mexico City Policy (qui ne concerne pas le Mexique) visant à empêcher que les Etats-Unis, par le biais de l’Usaid (Agence des Etats-Unis pour le développement international), financent des ONG favorables à l’avortement dans le cadre du planning familial.

Cyril : Tous les documents signés par Donald Trump au cours de cette première semaine vont-ils réellement aboutir à des changements dans le pays ou font-ils simplement partie d’une opération de communication du président pour marquer son détachement de la présidence de Barack Obama ?

Une partie est déjà effective, comme celle que je viens de mentionner, ou bien encore la sortie du projet de libre-échange avec des pays riverains du Pacifique. Les documents signés mercredi concernant l’immigration doivent en revanche être complétés par le pouvoir législatif, à commencer par le financement du projet de « mur », ou les embauches de gardes-frontières et d’agents de l’immigration (15 000 au total). Il faut donc examiner les textes au cas par cas pour savoir ce qui relève de la communication politique, comme l’avait fait M. Obama en novembre 2014 sur l’immigration, justement, et ce qui amorce des politiques que traduiront ultérieurement des décisions du Congrès.

Servanne : Pouvez-vous nous dire comment se dessinent les réactions des républicains aux différentes mesures enclenchées par Trump ? Et notamment celles des parlementaires ? Merci.

Donald Trump a reçu un accueil chaleureux lors de la retraite des élus républicains du Congrès à Philadelphie, jeudi. Le Grand Old Party (GOP) est euphorique : non seulement il a repris le contrôle de la Maison Blanche, ce dont beaucoup doutaient du fait de la candidature de Donald Trump, mais il a conservé le contrôle du Sénat. La victoire n’efface cependant par les divergences profondes, sur le commerce international, sur la dépense publique, qui ne semblent pas effrayer Donald Trump.

Quelques voix dissonantes se font déjà entendre, dont celle du « maverick » John McCain, président de la commission des forces armées du Sénat, mais le Freedom Caucus, l’aile droite héritée du Tea Party, reste pour l’instant silencieux, alors que le déficit budgétaire a longtemps été une de ses obsessions. M. Trump bénéficie d’une période d’état de grâce avec son parti. On verra au bout de quelques mois s’il parvient à transformer le Parti républicain en profondeur, à en faire un parti populiste, ce qui est le projet de son conseiller stratégique Stephen Bannon, ou bien si le GOP résiste à cette tentative de « trumpisation ».

Mickksekk : La crise diplomatique qui commence tout juste avec le Mexique ne risquerait-elle pas de dégénérer en conflit ouvert (connaissant le tempérament de Trump) ?

On en est très loin, il faut raison garder. Une négociation s’annonce, sur le « mur », sur une révision de l’Aléna, le traité de libre-échange conclu entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique, dont la période est au rapport de force, évidemment plus favorable à Washington, ce qui explique que M. Trump affiche le désir de ne procéder qu’à du bilatéral à l’avenir, quoi que l’on puisse penser de l’efficacité de ce format de négociations.

Biff Tannen : Quels sont les moyens que peut mettre en œuvre le Mexique pour contrecarrer le paiement du mur à la frontière ? Et Donald Trump a-t-il de vrais moyens de pression sur le Mexique ?

Le Mexique n’a pas la meilleure main face à Donald Trump, mais l’imbrication des économies (une partie des pièces détachées utilisées dans les usines automobiles américaines sont ainsi fabriquées au Mexique) rend difficile les mesures radicales. On a vu à quelle vitesse la Maison Blanche est revenue jeudi sur son projet de taxation de 20 % des importations mexicaines, qui toucheraient en premier lieu les consommateurs américains. Alors que l’immigration en provenance du Mexique est en baisse, les Etats-Unis ont-ils intérêt à déstabiliser leur voisin du Sud ? Dans ce rapport du faible au fort, le Mexique a par ailleurs des outils, comme l’a montré l’extradition du narcotrafiquant Joaquin Guzman, dit “El Chapo”, le 19 janvier.

Cyril : Donald Trump pourrait-il lui-même entreprendre des accords commerciaux avec la Grande-Bretagne sans tenir compte des réglementations de l’Union européenne ? Merci.

Le Royaume-Uni ne peut conclure d’accord de ce type avant une sortie effective de l’Union européenne.

Nico54 : Donald Trump a déjà, en quelques jours seulement, pris des décisions profondément impopulaires, et cela risque de devenir une routine dans les semaines à venir. Quel(s) contre-pouvoir(s) existent-ils aux USA, qui pourraient potentiellement le bloquer dans sa démarche de destruction de l’héritage Obama ?

Nous ne disposons pas pour l’instant de sondages permettant de dire que ces décisions sont impopulaires aux Etats-Unis. Il y a fort à parier, au contraire, qu’elles soient très bien accueillies par les électeurs républicains. Le principe d’une alternance est précisément de donner les moyens à un camp politique de promouvoir ses idées, comme l’avaient fait les démocrates avec Barack Obama. Le prochain rendez-vous électoral va arriver très vite, en novembre 2018, avec les élections de mi-mandat. Les Américains auront alors l’occasion de s’exprimer sur le style de cette administration et sur les mesures qu’elle aura prises.

Paul : De quelle manière l’opinion publique américaine (notamment ses partisans et l’état-major du Parti républicain) a-t-elle réagi aux premières décisions de Trump ? De même, qu’en est-il des grandes manifestations à Washington et dans d’autres villes ?

Il est un peu tôt pour le savoir, surtout compte tenu de la stratégie de saturation adoptée par Donald Trump. Il cherche à imposer l’idée que sa présidence est effective, sinon efficace. Les manifestations du 21 janvier, qui ont frappé par leur ampleur, ont constitué un exutoire pour les démocrates, mais le parti reste en état de choc et hésite sur la conduite à suivre. Un élément de réponse sera donné lors de la désignation de son prochain responsable, en février. Aujourd’hui, il va y avoir également foule à Washington, mais les gens qui doivent s’y rassembler le font pour s’opposer à l’avortement.

EliJem : Concrètement, dans quelle mesure M. Trump entend-il abroger l’Obamacare ? Va-t-il supprimer totalement cette réforme de santé ? Par quoi entend-il la remplacer ?

Personne n’en a la moindre idée à ce stade. M. Trump veut la « supprimer et [la] remplacer » par une mesure qui doit être moins coûteuse et permettre d’assurer autant de gens. Le président a même évoqué une nouvelle fois une assurance universelle qui supposerait de trouver des financements pour trente millions de personnes supplémentaires, évidemment dépourvues de moyens. M. Obama a dit publiquement qu’il soutiendrait toute mesure permettant d’y parvenir à un moindre coût. Dans son esprit, c’est certainement impossible.