Si on devait l’adapter en album, le parcours d’un auteur de bande dessinée raconterait une aventure tumultueuse… et au long cours. Car si la BD est pour beaucoup une vocation, le chemin pour y parvenir n’a rien de la ligne droite. Auteur de L’homme qui tua Lucky Luke (Dargaud, 2016), en ­sélection officielle cette année au Festival d’Angoulême, Matthieu Bonhomme s’est dirigé, à la sortie du lycée, vers un BTS arts appliqués avec une spécialisation ­« Espaces de communication ».

« On nous apprenait à concevoir des stands pour des salons ou des PLV. On était plusieurs à se demander ce qu’on faisait là », raconte-t-il en souriant. A l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs ­(Ensad), Aude Picault, qui vient de publier Idéal standard (Dargaud, 152 p., 17,95 euros), s’oriente vers le graphisme Web et mettra plusieurs années à « accepter [s]on envie d’écrire ».

Après quatre ans d’université en arts plastiques – « où l’on a presque réussi à [lui] faire croire que le dessin n’existait plus ! » –, Sophie Guerrive, dont le Tulipe (éditions 2024) est également en sélection à Angoulême, réussit le concours de l’Ecole des arts décoratifs de Strasbourg – désormais Haute Ecole des arts du Rhin – et s’engage dans l’option illustration.

Quelle qu’elle soit, la formation choisie permet d’acquérir les ­bases nécessaires. « Mes cours de perspective en première année me servent encore aujourd’hui », souligne Matthieu Bonhomme. Passé par l’école lyonnaise Emile-Cohl, avec une option BD à la clé – « la condition sine qua non » –, Hervé Tanquerelle (Groenland Vertigo, Casterman, 104 p., 19 euros) se souvient du soutien de ses enseignants « qui [lui] ont fait sentir qu’[il] étai[t] bon dans ce domaine ».

Titulaire d’un master BD de l’Ecole européenne ­supérieure de l’image d’Angoulême, auteure de La Renarde (Casterman), Marine Blandin n’a pas oublié les cours dispensés par le scénariste Thierry Smolderen.

Compagnonnage

Néanmoins, au-delà des enseignements, tous insistent sur l’importance majeure des rencontres faites pendant les années d’études, entre les murs de l’école… ou en dehors. Matthieu Bonhomme a ainsi bénéficié de la tradition du compagnonnage de l’école franco-belge : « Le scénariste Christian Rossi et le dessinateur Jean-Claude Mézières m’ont reçu à plusieurs reprises, ont regardé mon travail et donné des conseils précieux. »

A Angoulême, Marine Blandin, comme Hervé Tanquerelle ou ­Sophie Guerrive dans leurs écoles respectives, se fait la main, avec ses condisciples, dans des fanzines. Tous disent avoir apprécié le temps libre laissé pour élaborer son propre style, avancer sur ses travaux personnels. « J’avais l’impression d’être un peu lâchée dans la nature, ce qui correspond finalement à la vraie vie ensuite », résume Marine Blandin.

« On a tous un gros passage à vide en sortant de l’école. » Sophie Guerrive
auteure de « Tulipe »

Une vraie vie qui a moins à voir avec un long fleuve tranquille qu’avec un bain à (forts) remous. « On a tous un gros passage à vide en sortant de l’école », admet ­Sophie Guerrive qui a du mal à considérer « auteure de BD » comme un métier : « Il n’y a pas de demande, c’est nous qui la forçons. »

De fait, selon l’enquête ­dévoilée l’an passée par l’association des Etats généraux de la bande dessinée, lors du Festival d’Angoulême, 53 % des auteurs interrogés déclaraient toucher un revenu inférieur au smic brut. Difficile en effet de vivre des ­à-valoir et de la seule vente d’albums. Si le volume des publications est conséquent, la concurrence est d’autant plus rude et l’auteur ne s’y retrouve pas forcément sur le plan économique.

Aude Picault, dont la réputation n’est pourtant plus à faire, ­estime avoir gagné 20 000 euros en 2016. « Je gagnais autour de 26 000 euros quand je sortais deux albums par an. J’ai choisi de produire moins, mais mieux. » Comme Marine Blandin, il lui ­arrive de rebasculer sur le RSA. « Effectivement, cela interdit un certain nombre de choses, comme contracter un crédit, estime cette dernière. Mais cela en autorise d’autres comme une grande ­liberté. »

Les illustrations dans la presse, coloriser les travaux d’autres auteurs ou des commandes en publicité peuvent venir améliorer l’ordinaire. Hervé Tanquerelle a, pour sa part, assuré la rédaction en chef d’un magazine numérique pendant plusieurs années. « Il ne faut pas s’attendre à ce que cela marche comme ça” », prévient-il. Dès lors, est-il bien raisonnable pour un jeune de se lancer à la conquête du neuvième art ? « Mon conseil serait spontanément de lui dire de ne pas y aller, sourit Sophie Guerrive. Mais si l’envie est la plus forte, alors il ne le suivra pas ! »