TINO

Hétérogènes aussi bien en termes de contenu que de qualité, le master et ses satellites ne manquent pas d’attraits. Le plus prometteur tient à ce qu’ils permettent, dans bien des champs du savoir, d’accéder à un niveau d’abstraction et à une capacité à concevoir dont on peut espérer qu’ils ne seront pas immédiatement concurrencés par les algorithmes et l’intelligence artificielle. L’histoire du travail connaît en effet peu d’exceptions : les métiers spécialisés dans des tâches que l’homme peut avantageusement faire exécuter par une machine résistent rarement. Les fonctions reposant sur la puissance physique en ont fait les frais les premières, puis celles qui exigeaient la maîtrise de gestes physiques parfois complexes mais reproductibles.

Le bac + 5 donne un peu de temps à l’étudiant. Pour approfondir mais aussi pour se découvrir, comprendre quel sens il souhaite donner à sa vie. Cette vertu est tout sauf anecdotique.

Le même processus est à l’œuvre depuis la naissance des premiers calculateurs pour la puissance intellectuelle et pour des gestes physiques de plus en plus minutieux. En forçant le trait, l’on pourrait presque affirmer que les deux diplômes les plus protecteurs du moment sont les CAP des secteurs en tension (les métiers de bouche par exemple) et les masters préparant aux fonctions de conception, de management et ceux qui sont en prise directe avec l’innovation technologique de très haut niveau – voir l’effloraison de masters spécialisés en big data.

Le second avantage du bac + 5 tient, précisément, à ce qu’il donne un peu de temps à l’étudiant. Pour approfondir mais aussi pour se découvrir, multiplier les expériences, comprendre quel sens il souhaite donner à sa vie ; cette vertu est tout sauf anecdotique.

Mais à mesure que le nombre de ses récipiendaires augmentait, le grade le plus élevé de l’enseignement supérieur, doctorat mis à part, est aussi devenu un des moins lisibles. Les appellations d’origine pas toujours contrôlée se sont multipliées : à côté du diplôme national de master, les écoles ont multiplié les mastères spécialisés (MS), les Master of Science (MSc), les Master of Art, les Masters of Business ­Administration (MBA), voire d’improbables « mastaires « ou « masters européens »…

Un visage contrasté

Trente années d’hypocrisie d’Etat sur le caractère sélectif ou non du diplôme n’ont rien arrangé, même si Thierry Mandon, le secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur et à la recherche, y a mis un terme sous la pression des tribunaux, sans que l’on sache si sa réforme ne se traduira pas par l’instauration d’un clivage délétère entre « bons masters » (comprendre : sélectifs) et « masters poubelles » (comprendre : non sélectifs). Pour ajouter à la confusion, constatons enfin que même le master estampillé par l’Etat présente un visage contrasté où les belles vérités macro côtoient de rudes réalités micro : le master demeure, statistiquement, la meilleure protection contre le chômage ; mais, individuellement, il ne protège ni du chômage, ni de la précarité, ni d’une rémunération à peine supérieure au smic.

En quelques décennies, le niveau bac + 5 est ainsi devenu un viatique comparable au baccalauréat des années 1970-1980 : en tant que tel, il confère peu de droits et n’offre aucune garantie. Mais prétendre s’en passer peut s’avérer lourdement pénalisant.