l’aéroport de New York-John F. Kennedy, samedi 28 janvier. | BRYAN R. SMITH / AFP

D’un trait de plume, vendredi 27 janvier, Donald Trump a anéanti le rêve américain de milliers d’étrangers. La signature du décret interdisant aux ressortissants de sept Etats (Iran, Irak, Syrie, Yémen, Soudan, Somalie, Libye) d’entrer sur le sol des Etats-Unis a bouleversé la vie d’hommes et de femmes qui avaient trouvé là un refuge, loin des combats ravageant leur pays, un emploi ou une place dans une prestigieuse université.

C’est le cas de Fouad Charef, un Irakien qui venait d’obtenir un visa d’entrée aux Etats-Unis, pour lui, sa femme et leurs trois enfants. Une planche de salut pour cet ancien employé de l’Usaid, l’Agence fédérale américaine pour le développement international. Du fait de son métier, il se sentait particulièrement exposé aux attaques des islamistes, qui le considèrent comme un traître. Mais samedi 28 janvier, à l’heure de monter dans son avion pour New York, à l’aéroport du Caire, la famille Charef a été refoulée et remise sur un vol à destination d’Erbil, au Kurdistan irakien.

« Je suis brisé, totalement brisé, bredouillait Fouad à l’arrivée. Quand je travaillais avec les Américains, j’avais mis ma vie et celle de ma famille en péril. Et aujourd’hui, nous voilà traités comme des trafiquants de drogue. » Pour le chef de famille, qui avait vendu sa maison en Irak et démissionné de son emploi, en prévision de son installation outre-Atlantique, le brutal revirement américain ressemble aux décisions à l’emporte-pièce de l’ancien dictateur Saddam Hussein. « A l’échelle de l’Histoire des Etats-Unis, je crois que c’est une terrible erreur », dit-il.

Des Syriens, dont plusieurs enfants, ont également été victimes du décret Trump. Mais le pays le plus affecté est l’Iran. Les Etats-Unis constituent la destination de prédilection des diplômés des grands établissements d’enseignement supérieur de la République islamique. Navid Yousefian, 27 ans, en doctorat de sciences politiques à l’université de Santa Barbara (Californie), avait suivi cette voie royale. Mais, pour son malheur, ce jeune homme originaire de Téhéran était dans son pays natal pour les besoins d’un travail de terrain lors de l’entrée en vigueur du texte. « Je pense avoir perdu mon doctorat aujourd’hui, a-t-il écrit vendredi sur sa page Facebook, sur un ton lapidaire et résigné. Il semble que je ne puisse pas retourner à Santa Barbara. »

« Tu es arrivé 20 minutes trop tard »

Nazanin Zinouri, originaire d’Iran elle aussi, résidait depuis près de sept ans aux Etats-Unis. Elle avait un emploi dans une ville de Caroline du Sud, un appartement, une voiture et même un chien. Mais lorsque les rumeurs de décret se sont faites insistantes, elle se trouvait à Téhéran, en visite chez ses parents. Son départ en catastrophe n’y a rien fait. Samedi, à l’aéroport de Dubaï, elle a été empêchée d’embarquer sur son vol pour Washington. « Ma vie ne vaut rien, c’est ce qu’ils disent avec des décisions pareilles, écrit-elle en conclusion d’un long post sur Facebook. Tout ce pour quoi j’ai travaillé ces dernières années ne vaut rien. »

Son compatriote Ali (qui demande à n’être désigné que par son prénom), détenteur comme elle d’une « carte verte », document assurant une résidence légale aux Etats-Unis, a été plus chanceux. L’ordre anti-immigration de Donald Trump a été signé alors qu’il rentrait d’un déplacement professionnel à Londres. A son atterrissage à New York, vers 22 heures, il a d’abord été arrêté par le département de la sécurité intérieure des Etats-Unis. « On m’a dit : “Tu es arrivé 20 minutes trop tard”. » Puis il a été transféré dans un terminal, où l’ont rejoint d’autres personnes interpellées, notamment des Iraniens et des Irakiens, tous menottés.

Un étudiant iranien qui vivait en Suède, venu avec un visa de dix ans, a été renvoyé vers Stockholm. Mais Ali, lui, a été relâché, cinq heures après sa descente d’avion. Le résultat probable du sursaut de plusieurs juges fédéraux, qui ont partiellement bloqué l’application du décret pour les titulaires de papiers en règle. « Le rêve américain n’est pas mort, tempêtait David, un infirmier venu manifester samedi dans l’aéroport de New York-John F. Kennedy, avec des milliers d’autres défenseurs des droits civiques. Nous devons prouver au monde que nous valons mieux que ces mesures racistes. »