Une manifestation contre le décret anti-immigration de Donald Trump à l’aéroport international de Philadelphie, le 29 janvier. | Corey Perrine / AP

Editorial du « Monde ». Dans son discours d’adieu au terme de deux mandats présidentiels en 1988, Ronald Reagan était revenu sur la célèbre analogie de « la ville qui brille sur la colline » pour comparer les Etats-Unis au phare du monde libre. « S’il devait y avoir des murs autour de cette ville, ajouta-t-il, ces murs auraient des portes. Et ces portes seraient ouvertes à tous ceux qui auraient le cœur et la volonté d’y venir. »

L’entourage de Donald Trump aime comparer le nouveau président des Etats-Unis à son illustre prédécesseur républicain, souvent raillé comme un acteur de série B à son arrivée à la Maison Blanche, qu’il quitta au faîte de sa popularité. Mais Donald Trump n’est pas Ronald Reagan. Ronald Reagan avait une vision des Etats-Unis, terre d’accueil des gens épris de liberté, exactement à l’opposé de la politique mise en œuvre par M. Trump depuis son installation à la Maison Blanche, le 20 janvier.

M. Trump fait exactement ce qu’il a dit pendant la campagne électorale : il ferme la porte de son pays. Commercialement, diplomatiquement, économiquement et maintenant humainement, le 45e président des Etats-Unis organise le repli de la première puissance mondiale à l’intérieur de ses frontières. Le décret qu’il a pris vendredi pour interdire l’entrée du territoire américain aux réfugiés et aux ressortissants de sept pays du Moyen-Orient relève de la même logique ; il s’applique, cette fois, à des êtres humains, de chair et d’os.

Une bonne partie des électeurs de M. Trump approuvent ce décret, qui leur est présenté comme une mesure destinée à les protéger du terrorisme. Plusieurs ténors du Parti républicain le soutiennent également. Mais des pans entiers de la société américaine se soulèvent contre cette mesure si symbolique dans sa contradiction avec l’essence d’un pays fait d’immigrés – même s’il est vrai que l’administration Obama ne s’était pas distinguée par son ouverture aux réfugiés.

Un exécutif fort

Des dizaines de milliers de citoyens se sont mobilisés dans les aéroports et ont manifesté dans les grandes villes, des avocats ont offert leurs services pour aider les voyageurs concernés, des magistrats sont intervenus pour suspendre l’application d’une partie du décret, les médias ont massivement réagi, de nombreux parlementaires ont pris position. Les dirigeants des grandes entreprises technologiques de la Silicon Valley, gros recruteurs de cerveaux étrangers, se sont joints à la bataille.

Le fonctionnement de la démocratie américaine, dotée d’un système présidentiel avec un exécutif fort, repose sur la mécanique des contre-pouvoirs, les fameux checks and balances. Ils sont aujourd’hui à l’œuvre, et il faut espérer qu’ils vont jouer leur rôle jusqu’au bout. Ce que l’on apprend de l’élaboration de ce décret, en petit comité et à l’écart des principaux responsables gouvernementaux concernés, fait froid dans le dos, de même que la part croissante accordée dans l’équipe de la Maison Blanche à Steve Bannon, l’idéologue ultranationaliste de M. Trump au passé sulfureux.

Le président Trump n’a que faire des protestations internationales, qui se sont, elles aussi, multipliées. Mais la société civile américaine, elle, y est sensible. Il est essentiel que les dirigeants européens pour lesquels les valeurs d’ouverture ont un sens maintiennent une attitude de fermeté, afin d’encourager les contre-pouvoirs américains à remplir leur office. C’est le seul moyen de ramener ce président dangereux sur la voie de la raison.