Fibre optique. | Science Photo Library

Une gabegie, doublée d’un retard important. C’est le constat de la Cour des comptes, qui a examiné le plan très haut débit du gouvernement. Lancé en grande pompe par François Hollande en février 2013, ce programme prévoit de raccorder 35 millions de locaux (foyers et entreprises) à l’Internet haut débit d’ici à 2022, dont 80 % en fibre optique, cette technologie qui offre des débits supérieurs à 100 mégabits par seconde.

Or, selon les magistrats financiers, ce plan, initialement estimé à 20 milliards d’euros, coûtera en réalité 35 milliards. D’où vient cette différence ? Tout d’abord d’une sous-estimation des frais à engager. Le gouvernement n’a pas tenu compte du raccordement de l’abonné, qui porte la facture réelle à 24,5 milliards d’euros.

Problème : selon la Cour des comptes, 24,5 milliards d’euros permettraient de tenir jusqu’à 2022. Mais à cette date, la France sera loin d’être couverte. Il restera à raccorder 7 millions de prises dans les « réseaux d’initiatives publiques » (RIP), financés en grande partie par les collectivités locales et l’Etat. Ces RIP sont censés équiper dans les campagnes 47 % de la population française. Si le plan du gouvernement, qui couvrait 50 % de la population fin 2016, a pris de l’avance, le plus dur reste à venir, puisqu’il s’agit d’équiper en fibre les hameaux inaccessibles et les fermes isolées.

Au final, la facture dans les zones les moins denses du territoire devrait atteindre 24 milliards, soit 10 milliards de plus qu’anticipé. Pour ces campagnes, où rentabiliser un réseau est très complexe pour un opérateur télécoms, le gouvernement a confié le pilotage des projets d’infrastructures aux collectivités locales. En région ou dans les départements, la moitié des financements provient de fonds publics (apportés par l’Etat et les collectivités), tandis que le solde est réglé par des cofinancements privés et les recettes issues de ces nouveaux réseaux publics.

« Absence de visibilité »

Plus de 11 milliards d’euros ont été engagés dans ces réseaux locaux. Mais les fonds privés manquent à l’appel, tandis que les opérateurs peinent à commercialiser leurs réseaux. Jusque-là, Orange et SFR ont été aux abonnés absents, même si tous deux ont récemment affirmé leur engagement dans les RIP. « Accéder à un nouveau réseau passe alors par un changement d’opérateur, ce qui peut rencontrer la réticence des clients », analyse le rapport. Les « plans d’affaires » se sont avérés « exagérément optimistes », tandis que le besoin des entreprises n’est pas satisfait, tranche la Cour. Résultat, les collectivités locales ont dû doubler leurs engagements à 6 milliards d’euros.

Pour mener à bien le chantier des 7 millions de prises restantes en 2022, les collectivités pourraient donc avoir à débourser 12 milliards supplémentaires, car à ce jour, il n’existe « aucun plan de financement », dit la Cour des comptes.

La haute juridiction a également examiné la situation dans les zones moyennement denses, où Orange construit 80 % des prises, et SFR 20 %. Là aussi, la situation est problématique. « Le suivi des engagements est relâché et peu transparent, alors que les défaillances manifestes perdurent depuis plusieurs années », dit le rapport, qui prend pour exemple le retrait de SFR dans la région Nord, tandis que la Seine-et-Marne a manifesté son inquiétude « face à l’absence de visibilité » des opérateurs Orange et SFR.

Pour les hauts fonctionnaires, il y a urgence. Car en attendant, la fracture numérique s’est creusée. Ainsi, à ce jour, « plus d’un internaute sur cinq dispose d’un débit inférieur à 2 mégabits par seconde, tandis que 13,2 % profitent d’un débit supérieur à 20 mégabits par seconde ».

Or, il n’y a pas forcément besoin d’installer un réseau fibre partout. La Cour estime ainsi qu’un débit de 10 mégabits par seconde est suffisant pour répondre aux besoins du grand public. Elle suggère donc de réviser le plan très haut débit, pour privilégier des alternatives technologiques moins coûteuses, comme le satellite, le hertzien ou la « montée en débit », qui consiste à faire monter en capacité le réseau cuivre d’Orange.

Concernant l’opérateur historique, elle estime aussi qu’il faudrait étudier le dégroupage de son réseau fibre, en l’ouvrant à ses concurrents. Cette méthode avait permis de développer l’ADSL en France à des tarifs compétitifs. Mais à l’époque, l’ADSL reposait sur le réseau cuivre de l’opérateur, financé par le monopole public de France Télécom. Cette fois, Orange a financé son réseau sur ses propres deniers, dans un contexte de concurrence. Pas sûr que l’opérateur soit donc d’accord pour partager.