Les actes antimusulmans enregistrés en 2016 ont été en net recul, non seulement par rapport à 2015, année exceptionnelle marquée par les attentats, mais aussi par rapport à 2014. C’est ce qu’ont annoncé, chacun de leur côté, mardi 31 janvier, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), association qui effectue son propre recueil et recensement de données, et l’Observatoire national contre l’islamophobie (ONCI), dépendant du Conseil français du culte musulman (CFCM), qui utilise le décompte du ministère de l’intérieur. Mais, pour les deux organisations, cette embellie ne traduit pas nécessairement une tolérance en hausse envers les musulmans.

Selon le CCIF, en 2016, les actes islamophobes auraient été en recul de 35,9 % par rapport à l’année précédente, et de 24,1 % par rapport à 2014. Comme à son habitude, le CCIF agrège « attaques » (25), « agressions » (39), discours haineux (98), à ce qu’il classe sous l’étiquette « discriminations » (419), de loin les plus nombreuses, et que l’association recense majoritairement dans les services publics (64 %).

De son côté, l’ONCI fait état de 182 actes antimusulmans en 2016, contre 429 en 2015, soit 57,6 % de moins. Ces actes se décomposent en 64 « actions » (contre 124) et 118 « menaces » (contre 305).

« Discriminations d’origine institutionnelle »

Comme les services de l’intérieur, l’Observatoire ne fait état que de faits ayant donné lieu à une plainte ou à une main courante, alors que le CCIF additionne les faits dont il est directement saisi et dont beaucoup se retrouvent sous la catégorie « discriminations ».

En outre, l’ONCI n’inclut pas de « discriminations » dans son décompte. Mais, pour la première fois, son président, Abdallah Zekri, affirme que l’Observatoire est saisi depuis deux ans par des Français musulmans « victimes de discriminations d’origine institutionnelle (dans l’enseignement, la police, les collectivités locales…). »

La baisse des actes recensés par le CCIF tiendrait à « des bonnes et des mauvaises » raisons, a expliqué son directeur, Marwan Muhammad. Parmi les premières figureraient une plus grande « empathie » et « solidarité » manifestée envers les musulmans et l’effet du « travail contre l’islamophobie ».

Les mauvaises raisons seraient notamment liées à l’hésitation de certaines victimes à porter plainte. « De plus en plus, nous devons convaincre des gens qui nous appellent d’agir en justice, car ils sont réticents », affirme Marwan Muhammad.

Pour M. Zekri, la baisse des actes antimusulmans serait liée en partie à « la mise en place d’un préfet chargé de la sécurisation des lieux de culte » : il a indiqué que « 1 098 sites musulmans, mosquées ou salles de prière ont bénéficié d’une protection des forces de sécurité en 2016 ». Par ailleurs, « l’installation de dispositifs de vidéosurveillance autour de certaines mosquées », a également pesé, a-t-il relevé, l’Etat ayant « fait un important effort financier : 341 000 euros en 2016 et 756 000 euros en 2015 ».

« Une validation hiérarchique de la posture d’exclusion »

A l’occasion de la publication de leur rapport annuel, les dirigeants du CCIF ont toutefois de nouveau accusé l’Etat et les pouvoirs publics de participer, par leur action, à la diffusion de l’islamophobie. La mise en œuvre de l’état d’urgence et plus largement la politique antiterroriste conduite depuis 2015 aurait conduit, selon Marwan Muhammad, à « l’émergence d’une islamophobie sécuritaire ».

Le directeur du CCIF a ainsi accusé « les critères très subjectifs » qui auraient selon lui motivé des perquisitions, des gardes à vue et des interdictions de sortie du territoire, d’avoir contribué à accréditer l’idée que « le problème sécuritaire est un problème musulman ».

Il a en outre estimé que les discriminations dans les services publics, souvent liées au port de signes religieux comme le voile, ne se produisent que parce qu’il y a « une validation hiérarchique de la posture d’exclusion », comme cela a été le cas, selon lui, lors des arrêtés anti-burkini de l’été, « validés notamment par le premier ministre » Manuel Valls. « S’agit-il d’un racisme d’Etat, d’une islamophobie d’Etat ? Nous laissons aux analystes le soin de juger. La puissance publique valide, encourage la posture de l’islamophobie », a-t-il ajouté.

La responsable juridique du CCIF, Lila Charef, a affirmé pour sa part que la politique de lutte contre le terrorisme avait conduit à « élargir, parfois à tort, les critères de signalement » de radicalisation de la part de certains professionnels, au point « d’installer un climat de suspicion généralisée » dont témoignerait, par ailleurs, le « phénomène de délation qui ne cesse de s’étendre ».