Coup sur coup, la Chine a pris trois mesures importantes : l’interdiction du commerce de l’ivoire, la fin du trafic d’ailerons de requin et l’instauration de quotas de pêche. Pour l’Afrique, les conséquences sont importantes. Quelque 73 millions de requins sont tués chaque année dans le monde et leurs ailerons servis en soupe sur les meilleures tables de Chine et du Japon. Le transporteur maritime Cosco et la compagnie aérienne Air China ont tous deux annoncé qu’ils refuseraient désormais de transporter de la chair de requin et des ailerons afin de protéger ce poisson. Quinze espèces de requin sont en voie de disparition dans le monde, dont le grand requin blanc d’Afrique du Sud.

Le bouillon d’ailerons de requin est un mets de choix servi en Chine depuis mille ans. Mais depuis que Pékin a mis le holà sur les banquets dispendieux du Parti communiste en décembre 2013, on estime que les importations de squales ont baissé de 82 %. Les transactions entre l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique du Sud et la Chine sont les premières concernées. Cette nouvelle décision de bannir le transport devrait mettre un terme – espérons-le – au massacre.

Surpêche et pêche illégale

Autre décision en ce début d’année en Chine : la lutte contre la pêche illégale. Le vice-ministre chinois de l’agriculture a annoncé que son pays allait réduire d’un tiers son volume de pêche d’ici à 2010 pour atteindre 10 millions de tonnes de poisson.

La Chine est le plus grand pays au monde dans le secteur de la pêche et compte le plus grand nombre de bateaux de pêche et de pêcheurs. Mais la surpêche au cours des dernières années a épuisé ses ressources, poussant toujours plus loin ses pêcheurs, notamment vers les côtes africaines. De 13 navires en 1985, le nombre de bateaux de pêche battant pavillon chinois au large de l’Afrique, ou appartenant à des entreprises chinoises, a explosé, passant à 462 en 2013, date de la dernière étude sérieuse, selon Greenpeace.

En huit ans, l’ONG dit avoir identifié 114 cas de pêche illégale commis par ces embarcations dans les eaux de Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Mauritanie, Sénégal et Sierra Leone. Ces bateaux opéraient principalement sans permis ou dans des zones interdites. Cette surpêche alimente les tensions entre l’Afrique et la Chine : les deux tiers des prises chinoises à l’étranger se font dans les eaux du continent.

Interdire le commerce de l’ivoire

Mais l’annonce qui a le plus marqué les relations Chine-Afrique concerne l’ivoire. Son commerce sera totalement interdit en Chine d’ici à la fin de l’année. Une première vague d’ateliers et de vendeurs devra cesser ses activités à partir du 31 mars. Pour les associations de protection des éléphants d’Afrique, c’est une bonne nouvelle. Toutes celles que nous avons interrogées, WWF, Elephant Action League ou Wildlife Justice Commission, estiment que cette décision va véritablement « changer la donne ».

« Cette décision chinoise d’interdire le commerce d’ivoire est très importante, car le marché légal est un canal important pour écouler de l’ivoire venu illégalement d’Afrique, explique Olivia Swaak-Goldman, directrice de l’ONG Wildlife Justice Commission. Mais le trafic ne va pas s’arrêter pour autant. D’abord, on peut craindre que le commerce s’accélère d’ici à la fin de l’année pour écouler les stocks. Ensuite, c’est un combat qu’il faut mener à l’échelle mondiale, notamment dans les pays voisins de la Chine qui risquent de devenir – ou qui sont déjà en grande partie – des plaques tournantes du commerce d’ivoire. »

Le Vietnam, le Laos et le Cambodge sont les premiers concernés. En novembre 2016, les ONG ont ainsi mis en lumière le rôle du village de Nhi Khe, dans le nord du Vietnam, en tant que carrefour du trafic d’animaux sauvages vers la Chine.

En décembre 2016, les autorités cambodgiennes ont saisi 1,3 tonne d’ivoire dans une cargaison de bois en provenance du Mozambique et à destination de la Chine. Des crânes de guépards, des os d’animaux sauvages et des écailles de pangolins étaient également cachés au milieu des poutres de bois.

« Ecocides »

Depuis que les contrôles se sont renforcés en Chine, le Cambodge est devenu une zone de passage majeure pour l’ivoire africain. Les frontières poreuses entre les pays d’Asie du Sud-Est et la Chine offrent de nombreux points de passage pour les contrebandiers. Hongkong est également une plaque tournante importante. Ce confetti au sud de la Chine jouit d’une large autonomie et n’est pas concerné par la décision du gouvernement chinois. L’ivoire pourra donc continuer d’y transiter au moins jusqu’en 2021, date à laquelle Hongkong pourrait à son tour mettre un terme au trafic. Il s’y vendrait encore environ une tonne par an.

Mais le coup décisif pourrait venir de la décision d’Interpol de démanteler les filières de crime organisé qui alimentent ce trafic d’ivoire. Un nouveau programme lancé en janvier vise les « écocides » (crimes contre l’environnement), dont le montant est estimé chaque année entre 91 et 258 milliards de dollars par l’organisation internationale de coopération policière.

« Il est primordial d’engager une action décisive contre les crimes environnementaux et ce projet, qui vise les réseaux du crime organisé entre l’Afrique et l’Asie, permettra à tous ses participants d’unifier leurs efforts », a souligné Jürgen Stock, le secrétaire général d’Interpol.

L’organisation pourra compter sur son nouveau patron pour porter cette politique : depuis novembre 2016, c’est en effet un Chinois, Meng Hongwei, qui dirige Interpol. Il est le vice-ministre chinois de la sécurité publique.

Pékin semble pour la première fois faire de ces trafics une affaire d’Etat. Pourquoi ? D’abord il s’agit de combattre une image désastreuse de la Chine dans ce domaine, notamment en Afrique. Trente mille éléphants sont tués chaque année pour leur ivoire. Le trafic d’espèces animales menacées rapporte quatre fois plus que le trafic de drogue et d’êtres humains et alimente des réseaux mafieux entre l’Afrique et l’Asie. Il finance les triades chinoises et des réseaux terroristes. A l’heure où la Chine est engagée dans une vaste lutte contre la corruption de ses cadres politiques et contre le blanchiment d’argent, le trafic d’ivoire est donc plus que jamais dans la ligne de mire des autorités.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.