François Fillon, avec à sa gauche René Ricol, ancien commissaire général à l’investissement et fondateur du cabinet Ricol Lasteyrie Corporate Finance, leader de l’évaluation financière et du conseil aux entreprises. | BERTRAND GUAY / AFP

Ce pourrait être la prochaine bombe à retardement pour le camp Fillon. L’opacité entretenue par François Fillon sur les clients et les contrats de 2F Conseil, la société de conseil et de conférences créée par l’ancien premier ministre le 7 juin 2012 – treize jours avant qu’il ne redevienne député et ne soit alors frappé par l’interdiction faite aux parlementaires de démarrer une activité de consultant une fois élu –, alimente le soupçon sur d’éventuels conflits d’intérêts entre ces activités privées et la conduite des affaires publiques.

D’importantes questions sont posées au candidat Les Républicains à l’élection présidentielle, qui restent à ce jour sans réponse : par quelles grandes entreprises a-t-il été rémunéré pour ses conseils ? A-t-il été payé, dans ce cadre, par des Etats, ou par des sociétés et des intermédiaires liés à des Etats, pour des conférences données à l’étranger ?

Le sujet est d’autant plus sensible que les sommes en jeu sont considérables, ainsi que l’a révélé Le Canard enchaîné dès novembre 2016. Selon les comptes détaillés de 2F Conseil, qu’a pu consulter Le Monde, François Fillon a touché de sa société un total de 757 526 euros, entre juin 2012 et décembre 2015, en salaires et en bénéfices. Le compteur a continué de tourner en 2016.

Fillon parmi les « senior advisors »

En trois ans et demi, la florissante société de conseil dont le député de la 2e circonscription de Paris est l’unique actionnaire – et dont l’adresse officielle est celle de son domicile au cœur du quartier de la Tour Maubourg, dans le 7e arrondissement de Paris – a réalisé un chiffre d’affaires cumulé de plus d’un million d’euros (1,015 million d’euros). Chaque année, la quasi-totalité des profits de la société sont reversés sur le compte courant de M. Fillon, dont ce dernier a lui-même révélé qu’il était domicilié au Crédit agricole de Sablé-sur-Sarthe, son fief des Pays de la Loire, ainsi qu’en attestent les documents financiers.

Le Monde a pu identifier l’un des clients de 2F Conseil. Il s’agit du cabinet Ricol Lasteyrie Corporate Finance, leader réputé de l’évaluation financière et du conseil aux entreprises, qui s’est adossé en 2015 au réseau mondial EY. L’un des fondateurs du cabinet, René Ricol, n’est autre que l’ancien commissaire général à l’investissement, qui fut nommé à ce poste de 2010 à 2012, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, afin de gérer les milliards du grand emprunt national destiné à la relance économique. Et qui travailla alors avec M. Fillon, premier ministre.

Interrogé mardi 31 janvier, Ricol Lasteyrie confirme que M. Fillon compte parmi les « senior advisors » (conseillers de référence) du cabinet, précisant que le contrat avec l’ex-premier ministre, toujours en cours, a vocation à cesser dans les prochains jours. Ce contrat, établi dès la création de 2F Conseil en 2012, aurait rapporté entre 40 000 et 60 000 euros par an à l’ex-locataire de Matignon. « La mission de M. Fillon était centrée sur son expertise en matière de globalisation et la question du rapprochement avec le réseau EY. Elle fut concrète et efficace », tient à préciser le cabinet.

Démentis formels

Pour le reste, le flou sur les clients de 2F Conseil perdure, malgré la pression politique exercée sur François Fillon pour qu’il lève le secret, a fortiori dans le contexte de l’affaire « Penelope Fillon ». Au micro de BFM-TV et de RMC, lundi 30 janvier, Yannick Jadot, candidat des écologistes à l’élection présidentielle, a une nouvelle fois appelé M. Fillon à la transparence – comme l’avait également fait, auparavant, Arnaud Montebourg –, soulignant que l’élu des Républicains avait « quadruplé son salaire de député » pendant plusieurs années. Et posant la question d’éventuels contrats avec des sociétés russes, qui, selon M. Jadot, pourraient expliquer « une telle complaisance vis-à-vis de Vladimir Poutine ».

Dans le camp Fillon, le sujet hérisse et suscite des démentis formels. « François Fillon ne travaille pour aucun Etat ni aucune société étrangère, martèle sa conseillère en communication, Anne Méaux. S’il intervient dans de grandes conférences internationales, c’est au titre d’expert, comme le sont d’autres grands noms tels Védrine, Attali, Kissinger… »

Plusieurs voyages soulèvent toutefois des interrogations, à ce jour irrésolues, quant aux conditions dans lesquelles ceux-ci ont été financés ou pu être rémunérés. En octobre 2013, M. Fillon est ainsi intervenu au Kazakhstan, dans le cadre d’un forum sur les perspectives énergétiques, ainsi que l’avait souligné, déjà, Le Canard enchaîné. Ce, dans un contexte où les relations d’hommes politiques de différents pays, dont la France, avec le régime de Nazarbaïev sont scrutées de près, depuis l’affaire dite du « Kazakhgate » liées à des commissions occultes versées en marge de gros contrats commerciaux.

En décembre 2014, l’ex-premier ministre s’est rendu au Liban pour des déjeuners et des dîners avec des responsables politiques et religieux du pays, sans précision sur les conditions de ce voyage. D’autres déplacements sont régulièrement cités, notamment en Russie, en 2013, voyages pour lesquels l’entourage de M. Fillon affirme qu’il n’a pas été rémunéré. L’analyse des comptes de la société 2F Conseil ne livre aucune information précise sur les conférences rémunérées de l’ex-premier ministre. Si ce n’est celle-ci : 97 000 euros ont été encaissés par la société en 2012 et 2013, pour des prestations effectuées « à l’export » (à l’étranger), sur un chiffre d’affaires global de 446 800 euros.