46, rue de Rome, Paris 8e. | CYRILLE WEINER

Avec plus de 20 000 habitants au kilomètre carré, Paris est la ville la plus dense d’Europe et figure dans le top 5 des villes les plus denses du monde. Mais cette caractéristique, loin d’être insupportable ou invivable, est ressentie de façon positive. C’est là l’héritage du paysage urbain haussmannien qui imprègne encore fortement la capitale.

A l’heure où la densité et la réversibilité deviennent des questions centrales de la construction de la ville contemporaine, l’exposition « Paris Haussmann, modèle de ville » qui vient d’ouvrir ses portes et se tient jusqu’au 7 mai au Pavillon de l’Arsenal à Paris, questionne ce modèle urbain qui a su évoluer dans le temps.

« L’idée de cette exposition est née de notre pratique. Tous les jours, on nous pose la question de la densité et de la durabilité de la ville. Or le modèle haussmannien, projet qui a perduré au-delà même du mandat du préfet, a franchi les étapes du temps : 60 % du tissu parisien a été construit entre 1850 et 1914 ! », soulignent ses deux commissaires architectes, l’urbaniste Umberto Napolitano et l’ingénieur Franck Boutté.

Cette exposition n’est pas une nouvelle histoire du modèle haussmannien. A travers cartographies, dessins, plans et maquettes – d’un graphisme remarquable –, elle analyse les formes de l’urbanisme haussmannien pour en comprendre le sens et en tirer des enseignements utiles à la construction de la ville de demain.

Mobilité de longues et courtes distances

Déjà, elle met en évidence la richesse du maillage parisien de voiries. Le modèle urbain haussmannien ne se résume pas aux grandes percées. Certes les grands axes nord-sud et est-ouest ont à l’époque réordonné et réorganisé la forme même de la ville, tout en s’appuyant sur les tracés fondateurs. Mais cette « grande croisée » est complétée d’un réseau secondaire et d’un réseau tertiaire, fins et ramifiés, qui permettent l’accès aux îlots et la circulation en leur sein.

Ces multiples dessertes font de Paris l’une des villes d’Europe où l’on marche le plus : près de la moitié des déplacements dans la capitale s’effectuent à pied. « Fortement ramifié avec un nombre important de nœuds et de connexions (210 intersections au kilomètre carré), le maillage haussmannien articule mobilité de longues et courtes distances. D’un point donné de Paris, dans un rayon de 400 mètres on peut accéder à 62 % des bâtiments alentour », explique Franck Boutté.

La fragmentation du bâti qui caractérise le tissu haussmannien et en fait sa force s’explique par cette ramification. « Dans le modèle haussmannien, l’îlot est véritablement l’outil de la densité, qui permet de limiter la consommation du sol pour loger davantage d’habitants, explique Umberto Napolitano. Les îlots sont d’une grande diversité par leur taille et leur forme. Mais quels que soient leurs volumes, ils révèlent une même densité bâtie. Ce qui interpelle. D’autant que cette densité, particulièrement élevée, supérieure à celle des formes urbaines plus contemporaines, est très peu remise cause. »

Densité acceptable et acceptée

Et l’architecte urbaniste de constater qu’aucune forme urbaine proposée à Paris depuis 1910 jusqu’aux opérations d’aménagements contemporaines n’égale la densité bâtie résultant de la forme haussmannienne : « Certains quartiers de constitution récente et de moindre densité génèrent une densité vécue plus élevée et donc moins bien acceptée par leurs occupants et les riverains. »

Dans l’îlot haussmannien, l’équilibre entre les « pleins » et les « vides » est savamment pensé. Les vides n’entourent pas les bâtiments comme dans nombre d’aménagements contemporains mais, constitués de cours et de courettes, ils sont enserrés par les immeubles.

Compacts, les îlots haussmanniens forment ainsi un agrégat d’immeubles mitoyens mais « fins », pour reprendre une expression des commissaires, c’est-à-dire relativement étroits et peu profonds. Alors que les bâtiments que l’on construit aujourd’hui ont une épaisseur largement supérieure à 10 mètres, allant jusqu’à 20 mètres pour certains (comme les tours), l’immeuble haussmannien présente une épaisseur courante de bâtiment entre 7 mètres et 13 mètres au maximum.

« L’étroitesse des plans favorise une double ou triple orientation des logements. Et permet ainsi un accès important à la ventilation et à la lumière naturelles, souligne Umberto Napolitano. La hauteur sous plafond (de 3 mètres au minimum) accroît elle-même cette pénétration de la lumière. Ce sont là, insiste-t-il, des qualités de confort qui rendent acceptable la densité. »

« Faire ville »

Archétypes de l’habitat parisien, les immeubles haussmanniens ont été construits avec les mêmes règles dimensionnelles, ont été dotés des mêmes lignes principales de façades, ont utilisé les mêmes matériaux, donnant à la ville une certaine unité. « Cette unité, constate Franck Boutté, on ne la retrouve pas dans les projets immobiliers contemporains qui, aussi intéressants puissent-ils être, se succèdent et se côtoient, sans pour autant réussir à former un tout, à “faire ville”. Les règles qui encadrent leur conception ne figent pas pour autant l’architecture des immeubles haussmanniens. Ceux-ci s’avèrent, à l’usage, offrir une grande flexibilité », souligne l’architecte ingénieur.

Au fil du temps, ces bâtiments ont de fait démontré leur capacité à s’adapter à d’importantes transformations, et ce sans démolition ni reconstruction lourde. La taille des appartements a pu être réduite pour augmenter le nombre de lots de copropriété et d’habitants. Des étages, voire des immeubles entiers, ont changé d’affectation : habitations à l’origine, devenues bureaux, puis de nouveau logements.

Même d’un point de vue thermique, l’immeuble haussmannien, construit bien avant la prise en compte des enjeux énergétiques, n’est pas totalement dénué de qualités. Au sein de l’îlot haussmannien, la mitoyenneté des bâtis joue un rôle naturel d’isolation et d’inertie, en tout cas y participe activement. Elle assure également la régulation et la mutualisation entre les différentes entités.

« Il ne s’agit pas de reproduire le modèle haussmannien », tiennent à préciser les deux commissaires de l’exposition. Pour autant, ce travail d’analyse les en a convaincus : le modèle haussmannien est porteur d’un ensemble de caractéristiques qui rendent possibles plusieurs équilibres fondamentaux : entre mobilité de longues et courtes distances, entre densité et viabilité, entre flexibilité et résilience, entre homogénéité et diversité. Il est ainsi une source d’inspiration pertinente pour penser et concevoir la ville durable.

Smart Cities : « Le Monde »  décrypte les mutations urbaines

Dans moins de trente ans, le nombre d’urbains dans le monde aura doublé. Pour raconter, décrypter et penser ces passionnantes mutations urbaines, Le Monde a organisé vendredi 25 novembre une matinée de colloque sur « Le big data va-t-il changer nos vi(ll)es ? ».

Avec ses partenaires, Le Monde a lancé à cette occasion la deuxième édition des Prix européens de l’innovation Le Monde-Smart Cities afin de récompenser des solutions innovantes améliorant la vie urbaine.

Retrouvez le règlement et le jury ici, ainsi que l’actualité des villes décryptée par les journalistes du Monde dans la rubrique « Smart cities » sur Lemonde. fr.