LA LISTE DE NOS ENVIES

Mystères de la programmation. Certaines semaines cinématographiques semblent longues comme des jours sans pain. D’autres abondent en films plus passionnants les uns que les autres. Cinq titres sont à recommander chaudement ce mercredi, dont la note de tête est intensément politique, sans renoncer pour autant à être des propositions esthétiques puissantes et originales.

L’AMÉRIQUE Á L’HEURE DE LA POST-VÉRITÉ : « Un jour dans la vie de Billy Lynn », d’Ang Lee

Un jour dans la vie de Billy Lynn - Bande-annonce - VOST
Durée : 01:39

Inspiré d’un roman de Ben Fountain (Albin Michel, 2012), Un jour dans la vie de Billy Lynn nous ­ramène en 2004, deux ans après le début de la guerre en Irak. Le conflit, engagé sur la foi d’un mensonge – la supposée ­détention par Saddam Hussein d’armes de destruction massive –, s’enlise, devenant chaque jour plus impopulaire.

Les images d’une embuscade dont est victorieusement sorti un bataillon de soldats – à l’exception de son commandant, qui y a laissé sa peau – vont servir à redorer le blason de l’armée américaine. A l’approche du grand moment de communion patriotique qu’est Thanksgiving, on les invite à Dallas (Texas). Ils y rencontrent la presse et participent au barnum prévu dans le stade de la ville où doivent avoir lieu, entre autres, un match de football américain et un spectacle de Destiny’s Child, le groupe qui a lancé la carrière de Beyoncé.

En montrant à quel point il n’y a pas plus de maison du peuple américain aujourd’hui que de maison tout court – la notion de « home » s’étant vidée de son sens –, Un jour dans la vie de Billy Lynn s’impose comme un grand film, cruel et désespéré, sur ce qu’il est désormais convenu d’appeler la post-vérité. Isabelle Regnier

« Un jour dans la vie de Billy Lynn », film américain, d’Ang Lee. Avec Joe Alwyn, Kristen Stewart, Garrett Edlund, Steve Martin, Vin Diesel, Chris Tucker (1 h 50).

TROIS MOMENTS DANS L’INCARNATION D’UNE DIFFÉRENCE : « Moonlight », de Barry Jenkins

Moonlight | Official Trailer HD | A24
Durée : 01:56

Ecrit pour l’écran par un dramaturge, Tarell McCraney, Moonlight est divisé en trois actes, qui mettent en scène trois moments de la vie de Chiron, interprété par autant d’acteurs différents. Les nominations aux Oscars, le succès en salle du film dans son pays – ce qui ne va pas de soi quand le personnage principal est afro-américain et gay, sans même être « inspiré d’une histoire vraie » – ne doivent pas non plus obscurcir la formidable originalité du film.

Barry Jenkins ne doit pas grand-chose aux modèles narratifs hollywoodiens. Sa manière de tirer très légèrement ses images vers l’abstraction (par la géométrie des compositions, la grâce des mouvements, les harmonies chromatiques) le rapproche plus de cinéastes européens, ou asiatiques.

Cette manière aurait pu, tout comme la division du récit en trois actes ou le recours à trois interprètes différents qui passent chacun autant de temps à l’écran, faire verser Moonlight dans le maniérisme. Or, question de passion et de désir, sans doute, jamais film n’a été aussi incarné, sensuel et immédiat. Thomas Sotinel

« Moonlight », film américain, de Barry Jenkins. Avec Alex Hibbert, Ashton Sanders, Trevante Rhodes, Mahershala Ali, Naomi Harris, Janelle Monae, André Holland (1 h 51).

LE STYLE, C’EST LA POLITIQUE, ET VICE VERSA : « Jackie », de Pablo Larrain

JACKIE | OFFICIAL TRAILER | FOX Searchlight
Durée : 02:26

Un mois après (Pablo) Neruda, Jackie (Kennedy) sort au cinéma, signé du même réalisateur, le Chilien Pablo Larrain (40 ans, enfant de Pinochet et du laboratoire néolibéral, génie cinématographique). Les deux films ne se ressemblent pas.

Première incursion américaine de l’auteur, le film est une coproduction hollywoodienne avec défi de star (Natalie Portman dans le rôle-titre), sujet porteur (les funérailles de John Fitzgerald Kennedy), bataillons de postes techniques (on a compté dix-neuf coiffeurs au générique) et positionnement obligé aux Oscars. En un mot, du lourd.

Ne l’en caractérisent pas moins une grâce aérienne, une mélancolie verti­gineuse, une réflexion brûlante sur la passion américaine de toujours : assujettir l’exercice du pouvoir à la maîtrise du spectacle. Jackie partage en ce sens avec Neruda l’art de substituer des ­semelles de vent au plomb du biopic intégral et illustratif.

Sa formule tient dans une réduction tous azimuts. Prenant le ­risque d’être considéré pour le meilleur comme une hagiographie, pour le pire comme un exercice formaliste, Jackie est infiniment mieux que cela : un film réflexif qui montre que le style est une affaire politique. Jacques Mandelbaum

« Jackie », film franco-américano-chilien., de Pablo Larrain. Avec Natalie Portman, Peter Saarsgard, Billy Crudup, Greta Gerwig (1 h 40).

L’ÉTERNELLE COMÉDIE DE L’AMOUR : « Yourself and Yours » de Hong Sang-soo

YOURSELF AND YOURS Trailer | Festival 2016
Durée : 01:34

Dans Yourself and Yours, le peintre Youngsoo (Kim Joo-hyuck) se verrait bien épouser Minjung (Lee Yoo-young), malgré le penchant un peu trop prononcé de celle-ci pour l’alcool. Mais un ami lui apprend qu’on l’aurait aperçue dans un bar, buvant avec un autre homme, et ce jusqu’à en venir aux mains.

N’y tenant plus, Youngsoo demande des comptes à sa petite amie, qui dément en bloc et lui impose une rupture jusqu’à nouvel ordre. Démuni, Youngsoo regrette son geste et erre comme une âme en peine, à la recherche d’une Minjung qui se dérobe à lui.

On dit souvent des films d’Hong Sang-soo – histoires d’amour désaccordées entre personnages velléitaires, tournées avec peu de moyens et une troupe d’acteurs récurrents – qu’ils sont toujours les mêmes. Pourtant, ceux-ci n’ont jamais cessé d’inventer de nouveaux dispositifs de narration, de nouveaux principes de variations et de virtualités, bricolés comme autant de machines à voyager dans le temps des histoires de cœur, pour mieux rendre compte de leur fragilité et de leurs hasards ineffables.

En vérité, ce ne sont pas les films d’Hong Sang-soo qui se ressemblent, mais bien nous, ses sujets humains, soupirants inconstants et hypocrites, qui nous acharnons à demeurer semblables, comme à toujours endosser les mêmes rôles, dans la comédie sans cesse reconduite de l’amour. Mathieu Macheret

« Yourself and Yours », film sud-coréen, de Hong Sang-soo. Avec Kim Joo-hyuck, Lee You-young, Kwon Hae-hyo (1 h 26).

LA VENGEANCE D’UNE FEMME, UN PORTRAIT SOCIAL PHILIPPIN : « La femme qui est partie », de Lav Diaz

La Femme Qui Est Partie - BANDE ANNONCE
Durée : 01:03

Aidé par quelques grands prix glanés ici et là et aussi, sans doute, par l’inexplicable amollissement qui le conduit à comprimer quelques films récents en quatre heures (voilà vingt ans que sa durée moyenne est à huit), une tardive et discrète percée du réalisateur Lav Diaz a lieu en France depuis deux ans.

La tendance permet de livrer cette Femme qui est partie pour en faire admirer la profusion chamarrée : récit de vengeance, mélo grand teint, portrait de fem­me, chronique sociale. Elle s’appelle Horacia. Elle vient de purger une peine de prison de tren­te ans, abrégée par l’aveu de la véritable coupable, à la place de qui elle a perdu les plus belles années de sa vie.

Lorsqu’elle sort, en 1997, deux missions s’imposent à elle. Mettre la main sur le salaud, riche amant éconduit, qui a manigancé son incarcération, et retrouver son fils disparu. Ce ne serait pourtant pas connaître Lav Diaz que d’attendre de lui la frénésie qui s’imposerait dans tout récit classique. Plans fixes, halos dans la nuit, naturalisme hyperstylisé du décor et des corps distribuent une atmosphère de roman-feuilleton ouaté et de théâtre grandiloquent. A découvrir, comme on dit. Jacques Mandelbaum

« La femme qui est partie », film philippin, de Lav Diaz. Avec Charo Santos-Concio, John Lloyd Cruz, Michael de Mesa (3 h 45).