De nombreux chefs d’Etat et une partie de la société civile ont d’ores et déjà dénoncé cette initiative. | BRENDAN SMIALOWSKI / AFP

De nombreux experts américains sur la question du terrorisme ont fustigé le récent décret anti-immigration, signé vendredi 27 janvier par Donald Trump, et interdisant pendant 90 jours l’entrée sur le territoire américain aux ressortissants de sept pays majoritairement musulmans : le Yémen, l’Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et l’Irak. Intitulé « Protéger la nation contre l’entrée de terroristes étrangers aux Etats-Unis », ce décret est une application d’une des promesses de campagne du candidat républicain, qui affirmait qu’il mettrait fin à l’immigration issue des pays qui « exportent le terrorisme ».

Une coopération internationale affaiblie

Pour Daniel Byman, chercheur à l’université de Georgetown et spécialiste, avec la Brookings Institution, du terrorisme international, ce décret pourrait au contraire « aggraver le terrorisme », explique-t-il au Monde.

« Une grande partie du contre-terrorisme américain dépend de la coopération avec des gouvernements du monde entier, et cet ordre exécutif aliène plusieurs d’entre eux, parmi lesquels des gouvernements importants comme l’Etat irakien. »

Dans une lettre ouverte adressée à l’administration Trump, 119 anciens officiels qui ont travaillé – sous la présidence de Bush ou celle d’Obama – sur la politique étrangère des Etats-Unis et la sécurité intérieure, ont également dénoncé le décret de Donald Trump. « Des pays partenaires en Europe et au Proche et Moyen-Orient, dont la coopération est vitale pour lutter contre le terrorisme, ont d’ores et déjà dénoncé cet ordre exécutif et commencent à se distancier des Etats-Unis », déplore le communiqué. Ce dernier a notamment été signé par Michael Hayden, ancien directeur de la CIA et de la NSA, ainsi que Susan Rice, ancienne conseillère à la sécurité intérieure sous la présidence de Barack Obama.

Pour Daniel Byman, l’initiative de Trump a d’ores et déjà un impact en Irak, où des combats cruciaux sont livrés contre le groupe Etat islamique, notamment à Mossoul.

« L’ordre exécutif a déjà rendu la coopération entre les forces américaines et le gouvernement irakien plus difficile. Et il y a eu des appels politiques, en Irak, à refuser les visas aux Américains qui auraient besoin de se rendre en Irak dans le cadre du conflit contre l’Etat islamique. »

Un choix de pays déconcertant

Autre argument régulièrement avancé, les dernières attaques terroristes menées sur le sol américain n’impliquaient pas de ressortissants des pays concernés. « Douze terroristes ont conduit des attaques djihadistes mortelles aux Etats-Unis depuis le 11 septembre, tuant 94 personnes », indiquaient récemment Peter Bergen, spécialiste de la sécurité intérieure pour CNN, et David Sterman, analyste pour le think tank New America. « Aucun d’eux – tous citoyens américains ou résidant légalement dans le pays – n’a émigré où est né d’une famille ayant émigré d’un des pays concernés par le décret de Donald Trump. »

Plus généralement, aux Etats-Unis et en Europe, la plupart des auteurs des récentes attaques étaient citoyens du pays visé. En outre, aucun n’est originaire des pays mentionnés sur cette « liste noire ». « Certains pays avec de plus grands problèmes de terrorisme ne figurent pas sur la liste, comme le Pakistan, l’Afghanistan et l’Arabie saoudite », ajoute Daniel Byman.

Le décret renforce la propagande djihadiste

Une autre conséquence du décret, qui cible des pays majoritairement musulmans, inquiète les experts. « Cela donne du crédit à la propagande de l’Etat islamique et d’Al-Qaida, selon laquelle les Etats-Unis sont en guerre contre l’islam », rendant ainsi le recrutement de ces groupes terroristes « plus facile », estime Daniel Byman. Dès le lendemain du décret, des djihadistes célébraient sur les réseaux sociaux « une victoire », saluant Donald Trump comme le « meilleur recruteur pour l’islam », selon le Washington Post.

Pour Daniel Byman, cela signifie aussi que le gouvernement américain peut perdre des moyens de renseignement sur son territoire.

« Depuis le 11 septembre, la communauté musulmane américaine a travaillé avec les services de sécurité de façon à identifier les potentielles radicalisations. En conséquence, les Etats-Unis n’ont pas eu de réseaux djihadistes profondément infiltrés, mais plutôt quelques individus éparpillés. Si vous perdez l’aide de cette communauté, le résultat peut être désastreux. Et pour le moment les actions de Trump favorisent ce scénario. »

« Nous savons que des groupes vont utiliser cela dans leurs tactiques de recrutement », a ajouté David Ibsen, directeur de l’ONG Counter Extremism Project. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a estimé mardi que le décret « déclenche une vague d’anxiété et de colère qui peut faciliter la propagande et organisations terroristes que nous voulons tous combattre ».