Le pasteur Evan Mawarire en juillet 2016. | MUJAHID SAFODIEN/AFP

Le pasteur zimbabwéen Evan Mawarire, l’un des chefs de file de la contestation contre le régime du président Robert Mugabe, a été déféré, vendredi 3 février, devant un tribunal de Harare, deux jours après son arrestation à son retour au pays.

M. Mawarire est formellement accusé d’« incitation à la violence » et de « tentative de sabotage du gouvernement ». Un juge doit décider d’ici à la fin de la journée de son maintien en détention ou de sa remise en liberté. « Il a demandé aux Zimbabwéens de ne pas aller travailler et de se révolter contre le gouvernement. Il y a eu de violentes manifestations dans le pays et de nombreuses propriétés ont été endommagées », a requis le procureur Edmore Nyazamba. « L’ensemble de ces accusations ne constituent en aucun cas un crime », a riposté Harrison Nkomo, l’un de ses avocats.

Le pasteur Mawarire est arrivé au tribunal vêtu d’une chemise à carreaux, Bible à la main. Une centaine de personnes, notamment des militants des droits humains, assistaient à l’audience, a constaté un journaliste de l’AFP.

« Je n’ai pas commis de crimes »

Evan Mawarire avait été arrêté mercredi à l’aéroport de Harare à sa descente d’avion alors qu’il rentrait de six mois d’exil en Afrique du Sud et aux Etats-Unis pour « chercher des soutiens ». Début 2016, dans un Zimbabwe au bord de l’asphyxie économique et financière, ce pasteur, inconnu du grand public et qui n’est affilié à aucun parti politique, avait lancé sur les réseaux sociaux une campagne de protestation contre le gouvernement baptisée #ThisFlag (« ce drapeau »).

Dans une vidéo qui a rapidement enflammé Internet, il était apparu avec un drapeau zimbabwéen en écharpe autour du cou, pour dénoncer l’incurie et la corruption du régime.

L’appel à la résistance lancé par ce père de famille de 39 ans, dans l’impossibilité de payer la scolarité de ses deux filles, avait provoqué une vague de manifestations et de grèves dans tout le pays, dirigé d’une main de fer par Robert Mugabe depuis trente-sept ans.

Mercredi, « quand il est arrivé à l’aéroport, il a aussitôt été escorté dans une pièce par trois hommes », a affirmé à l’AFP sa sœur, Telda Mawarire. « Je confirme qu’il a été arrêté », a déclaré à l’AFP son avocat, Harrison Nkomo. « Bonjour à tous, nous remercions Dieu d’être en bonne santé, malheureusement j’ai encore été arrêté », a lancé le pasteur sur une vidéo filmée par une avocate proche de l’opposition, Fadzayi Mahere, au poste de police de l’aéroport. « J’espère que je vais m’en sortir, a-t-il ajouté sur ce court film mis en ligne par l’avocate. C’est mon pays et je suis autorisé à rentrer chez moi. Je n’ai pas commis de crime. »

Avant d’embarquer à Johannesburg pour la capitale zimbabwéenne, le pasteur avait confié à un journaliste sud-africain, Simon Allison, qui l’accompagnait, être conscient des risques d’un retour dans son pays. Evan Mawarire avait fui le Zimbabwe à la mi-juillet après avoir été brièvement arrêté et accusé d’incitation à la violence. Depuis l’étranger, il avait appelé la population à continuer la grève.

Selon Fadzayi Mahere, il devrait être inculpé de « tentative de subversion d’un gouvernement constitutionnellement élu ». Après un pic au mois de juillet, la contestation anti-Mugabe s’est essoufflée ces derniers mois au Zimbabwe, après une répression policière brutale et une série d’interdictions de manifester imposées par les autorités.

Economie asphyxiée

Le pays traverse une grave crise depuis le début des années 2000. Asphyxiée par le manque de liquidités, son économie tourne au ralenti et 90 % de sa population active n’a pas d’emploi formel.

Les Zimbabwéens sont contraints de patienter de longues heures devant les guichets des banques pour en retirer de l’argent liquide et l’Etat lui-même éprouve de plus en plus de difficultés à payer ses fonctionnaires à temps.

En novembre, pour tenter de desserrer l’étau financier et de ralentir la fuite de dollars américains vers l’étranger, le gouvernement a lancé une nouvelle monnaie indexée sur le cours du billet vert.

Mais la mesure n’a pas produit les effets escomptés et fait craindre le retour de l’hyperinflation délirante qui avait atteint des centaines de milliards de pourcents en 2009, forçant le gouvernement à l’abandon de la devise nationale.

Mercredi, le ministère des finances a annoncé une nouvelle taxe de 15 % sur les produits alimentaires de base. « Les prix des marchandises de base vont forcément grimper (…), le régime semble éprouver un plaisir morbide à voir le peuple souffrir », a réagi un porte-parole du Mouvement pour le changement démocratique (MDC, opposition), Obert Gutu.

Sourd à toutes les critiques, Robert Mugabe est d’ores et déjà en course pour un nouveau mandat en 2018. Le plus vieux chef d’Etat en exercice fêtera ses 93 ans le 21 février.