Dans le quartier financier de Wall Street, à New York, en décembre. | BRYAN R. SMITH / AFP

Donald Trump a lancé officiellement, vendredi 3 février, le processus de démantèlement de la réforme sur la réglementation financière impulsée par Barack Obama au lendemain de la crise de 2008. Le président américain a signé deux décrets visant à revenir sur la loi Dodd-Frank, qui avait été votée en 2010 par le Congrès.

Le geste est pour le moment symbolique. Le premier décret donne 120 jours au secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, pour faire des recommandations dans le but d’amender cette loi dont le but était de renforcer la stabilité du secteur financier. Il s’agissait notamment de relever les exigences en fonds propres des banques, tout en mettant en place des tests de résistance annuels. Mais, in fine, toute abrogation substantielle de la loi nécessitera l’accord du Congrès.

« Difficile de faire un truc plus important que ça »

« Aujourd’hui, nous signons les principes fondamentaux de la réglementation du système financier américain », a déclaré M. Trump en paraphant les deux décrets depuis le Bureau ovale de la Maison Blanche. « Difficile de faire un truc plus important que ça, hein ? », a-t-il ajouté. À l’occasion d’une réunion sur les PME en début de semaine, M. Trump avait qualifié ce texte de « désastre ». Le président américain n’a cessé de répéter pendant sa campagne que la loi Dodd-Frank n’a fait que compliquer la vie des entreprises et des consommateurs tout en ralentissant la croissance.

Deux dispositions sont particulièrement dans le viseur de M. Trump. Il s’agit d’abord de s’attaquer à la règle dite « Volker ». Après avoir suscité une intense opposition de la part du lobby bancaire, ce texte qui porte le nom de son auteur, Paul Volcker, ancien président de la Fed, n’a été finalisé qu’en décembre 2013. Cette réglementation interdit notamment aux établissements bancaires de pratiquer le proprietary trading, c’est-à-dire la spéculation pour leur propre compte. Elle prévoit aussi de fortes restrictions sur la détention de participations dans des fonds spéculatifs ou des fonds de private equity (investis dans des entreprises non cotées en Bourse). L’objectif principal consiste à éviter le financement d’actifs risqués par des dépôts garantis par l’Etat fédéral.

Le bureau de protection des consommateurs dans le collimateur

Autre point de la loi Dodd-Frank dans le collimateur : le Bureau de protection financière des consommateurs (Consumer Financial Protection Bureau, CFPB). Cette agence a été créée à l’initiative d’Elizabeth Warren, la sénatrice démocrate du Massachusetts, principale chef de file de la lutte contre les excès de Wall Street. L’idée était de réguler les prêts hypothécaires et les cartes de crédit, qui avaient fait l’objet de nombreux abus au cours de la crise financière de 2008.

C’est cet organisme qui a sanctionné à l’automne dernier Wells Fargo. La banque californienne a créé des faux comptes à l’insu de ses clients pour atteindre ses objectifs commerciaux. Mais depuis sa création, le CFPB est conspué par les Républicains qui lui reprochent notamment d’avoir restreint de façon abusive l’accès des consommateurs au crédit et à certains produits financiers. Les jours de Richard Corday à la tête du CFPB semblent désormais comptés.

« Ne pas accabler les banques »

Par ailleurs, Donald Trump a signé vendredi un second décret demandant au ministère du travail de retarder l’application de la « règle fiduciaire », qui oblige les professionnels de la finance à agir prioritairement dans l’intérêt de leurs clients lorsqu’il s’agit de donner des conseils sur des placements en vue de leur retraite. Cette règle vise notamment à les empêcher d’orienter leurs clients vers des placements sur lesquels les commissions sont les plus élevées. Les lobbies financiers soutiennent que cette règle limite les choix d’investissement des retraités en obligeant les gestionnaires d’actifs à leur proposer les options les moins risquées. Cette mesure devait entrer en vigueur en avril, mais elle est repoussée de 90 jours afin d’être réécrite.

« Les Américains vont pouvoir faire de meilleurs choix et accéder à de meilleurs produits [financiers] parce que nous n’allons pas accabler les banques avec des réglementations qui leur coûtent chaque année des milliards de dollars », a argumenté Gary Cohn, le directeur du Conseil économique national à la Maison Blanche, dans une interview au Wall Street Journal.

« Je ne suis pas en train de vous dire que nous voulons revenir au bon vieux temps. Nous avons les meilleures banques du monde et les mieux capitalisées et nous devrions utiliser notre avantage compétitif. En revanche nous avons aussi les banques les plus réglementées du monde. »

La question qui se pose est de savoir à qui va profiter le plus cette déréglementation de la finance. Tout au long de sa campagne électorale, M. Trump s’est adressé aux populations délaissées, qui ont été frappées de plein fouet par la crise immobilière de 2008, fustigeant l’attitude des grandes banques de Wall Street. Or aujourd’hui, celles-ci sont largement représentées au sein de la nouvelle administration et notamment parmi ceux qui seront chargés de remettre à plat la loi Dodd Frank.

« Avoir une position dominante »

Le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, après avoir occupé des responsabilités chez Goldman Sachs, a repris IndyMac Bank, une caisse d’épargne spécialisée dans les prêts hypothécaires à risques qui venait de faire faillite après la crise des subprimes. Rebaptisée OneWest, celle-ci s’est rapidement bâti une réputation d’entreprise sans scrupule, multipliant les saisies.

Quant à Gary Cohn, il était numéro deux de Goldman Sachs, juste avant de rejoindre l’équipe de M. Trump. Le but de la déréglementation des marchés financiers « n’a rien à voir avec Goldman Sachs, cela n’a rien à voir avec JPMorgan, Citigroup ou Bank of America. Le sujet c’est de devenir un acteur dans un marché mondial où nous devrions, où nous pourrions et où nous aurons une position dominante tant que nous ne nous mettrons pas nous-même à l’écart à cause de la réglementation », affirme-t-il.

Reprenant son célèbre slogan de campagne, « Make America great again », Donald Trump souhaite permettre aux banques « to lend again » (de prêter à nouveau). Le nouveau président estime que les établissements financiers sont trop contraints par la réglementation pour faire des crédits et ainsi améliorer la situation des Américains. Cette vision est toutefois partiellement contredite par les chiffres. Selon les statistiques de la Réserve fédérale (Fed), le montant total des prêts auprès des banques ont dépassé les 9 000 milliards de dollars en 2016, soit 25 % de plus qu’en 2013. Concernant les entreprises, les crédits ont représenté au troisième trimestre (dernier chiffre disponible) 12 % du PIB, un niveau jamais atteint depuis 50 ans. Certes le montant total des prêts accordés aux PME n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant crise, mais, désormais, les banques sont obligées d’être beaucoup plus scrupuleuses sur les capacités de remboursement de leurs clients.

Assouplissement de la réglementation sur les compagnies pétrolières

Autre idée de la nouvelle administration, la remise à plat de Fannie Mae et Freddie Mac, les deux institutions fédérales qui garantissent des milliards de dollars de prêts immobiliers aux Etats-Unis. Le lobby de la finance pousse à les transformer en établissements à capitaux privés ce qui permettrait au secteur bancaire d’entrer sur ce marché très lucratif.

En attendant les recommandations de M. Mnuchin, le vent de la déréglementation a déjà commencé à souffler au Sénat qui a annulé vendredi une disposition qui obligeait les compagnies pétrolières à publier les sommes qu’elles versent à des gouvernements étrangers pour exploiter leurs ressources énergétiques. Initialement, cette disposition visait à limiter la corruption, mais les pétroliers américains, à commencer par Rex Tillerson, l’ex-PDG d’ExxonMobil devenu entre-temps Secrétaire d’Etat, estimaient qu’elle créait un désavantage compétitif par rapport à leurs concurrents étrangers.