L’Américain Paul Romer a pris en octobre 2016 la tête de l’influent département de la recherche de la Banque mondiale dont les rapports orientent la stratégie de financement du bailleur de fonds. Cet économiste de renommée mondiale connaît peu l’Afrique. Ses travaux théoriques l’ont jusqu’à présent tenu éloigné des problématiques des pays les plus pauvres.

De passage à Paris, lundi 30 janvier, pour le lancement du rapport sur le développement dans le monde consacré cette année à la gouvernance et à la loi, il s’est dit confiant « dans le potentiel de rattrapage de l’Afrique » tout en pointant un obstacle commun dans beaucoup de pays du continent : « l’absence de sécurité ».

Connaissez-vous l’Afrique ?

Paul Romer Je connais surtout l’Afrique du Sud. Un peu l’Ethiopie, le Kenya aussi et la Zambie. Mais je ne suis jamais allé dans les pays francophones du Sahel.

Quelle est votre perception du continent ?

Le travail de la Banque mondiale est d’encourager le rattrapage économique de ceux qui sont restés derrière. Dans un processus de rattrapage, les pays en retard ont la possibilité de croître très rapidement. C’est ce qui s’est passé en Chine. L’Afrique a le potentiel pour entrer dans un processus comparable. C’est le message optimiste que nous devons lui adresser.

C’est votre espoir pour l’avenir, mais quel est votre regard sur le présent, sur cette mosaïque composée de pauvreté persistante, d’Etats faillis, de quelques situations plus prometteuses ?

Le rapport sur le développement dans le monde consacré à la gouvernance et à la loi, que nous avons publié le 30 janvier à Paris, interroge cette diversité de situations. Il reconnaît que le processus de croissance économique implique des interactions positives entre l’économie, le développement social et la présence d’un Etat capable d’assurer les fonctions essentielles pour que le marché fonctionne.

Pourriez-vous être plus concret ?

Quand Deng Xiaoping a voulu réformer pour faire entrer l’économie chinoise dans cette dynamique de rattrapage, il a pris deux décisions. La première a été de faire venir des entreprises étrangères pour profiter de leurs technologies. La deuxième a été de mieux rémunérer le travail agricole. En Afrique, dans beaucoup de pays, le problème le plus urgent est, me semble-t-il, de créer des conditions de sécurité pour chacun. Lorsqu’il existe un risque de violence, que les familles craignent pour les leurs, que les biens peuvent être pris, il est difficile d’avoir confiance dans l’avenir.

La sécurité reste donc pour vous la première des conditions pour que l’Afrique soit en mesure d’entrer dans un processus de rattrapage économique ?

Dans beaucoup de pays, oui.

Vous avez développé l’idée de « charter city » (« ville sous charte ») pour introduire des réformes à une échelle locale avant de les généraliser et de vaincre ainsi les résistances au changement. Est-ce importable en Afrique ?

Bien sûr. Il y a certainement des endroits sur le continent où certaines choses seraient difficiles à introduire à l’échelle du pays, mais cela pourrait être expérimenté dans des zones spéciales. Il s’agit de créer des zones de démonstration qui aident à vaincre les résistances politiques au changement. Si chacun peut constater les retombées positives des réformes, il sera moins fondé à s’y opposer. Deng Xiaoping a créé les zones économiques spéciales pour faire venir les premières entreprises étrangères. Mais je ne crois pas que cette démarche soit la plus appropriée dans le cas de la sécurité publique : celle-ci est nécessaire à l’échelle entière d’un pays et on n’imagine pas que la population le désapprouve.

Le rapport sur le développement 2017 est consacré à la gouvernance, ce sujet demeure-t-il pour vous un écueil majeur au développement de l’Afrique ?

Oui, même si les situations sont très variables sur le continent. Je ne pense pas cependant qu’on aidera à résoudre ce problème en désignant des méchants et en réclamant des punitions. La mauvaise gouvernance doit être traitée comme un système qu’il faut changer en apportant des solutions. Cela peut se faire à travers l’échange d’idées, des projets et l’utilisation d’outils que nous apportent les nouvelles technologies en favorisant plus de transparence.