« Fire Emblem Heroes », deuxième jeu et troisième application smartphone de Nintendo. | Nintendo

Il est sorti le 2 février sur iPhone et smartphone Android : Fire Emblem Echoes marque la première tentative de Nintendo d’adapter sa série de jeux de stratégie sur téléphone mobile.

Mais alors qu’il était impossible en juillet 2016 d’échapper au phénomène Pokémon Go, ou, même, dans une moindre mesure, à la sortie de Super Mario Run en décembre dernier, Fire Emblem est pour l’instant beaucoup plus discret.

Si c’est sans conteste l’une des grosses sorties de ce début d’année, le nouveau jeu de Nintendo ne semble pas dépasser les cercles des passionnés de la licence. Un indicateur qui en vaut un autre : sur Google, il a été beaucoup moins recherché que Super Mario Run ou que le réseau social de Nintendo Miitomo à leur lancement.

Des trois applications Nintendo publiées à ce jour, Fire Emblem Heroes (en rouge) est celle qui est la moins recherchée sur Google, loin derrière Miitomo (en jaune) et Super Mario Run (en bleu). | Google

Et tandis que Super Mario Run s’était rapidement accroché au sommet du classement des applications qui rapportent le plus d’argent, Fire Emblem Heroes n’apparaît, en France, qu’à la 30e position sur iOS. Sur Android, il est pour l’heure carrément absent du classement, se contentant d’une place de 143e jeu gratuit le plus téléchargé du moment.

Comment expliquer ce lancement (relativement) confidentiel ?

Un événement moins attendu

Super Mario Run était un événement à plus d’un titre : il s’agissait du premier jeu développé par Nintendo pour smartphone. Avant ça, il y avait bien eu le réseau social Miitomo, qu’on pouvait difficile qualifier de jeu. Il y a eu aussi Pokémon Shuffle et évidemment Pokémon Go - mais ils n’ont pas été développés par Nintendo, bien qu’ils en exploitent l’une des marques.

Fire Emblem Echoes est tout de même une première : c’est à ce jour le seul jeu de Nintendo… disponible sur téléphone Android. Un peu léger pour affoler la presse et les joueurs.

Il n’a de toute façon pas vocation à être un phénomène global mais limité dans le temps : il s’agit là pour Nintendo de contenter les joueurs au long court, avec un titre solide (sa note moyenne sur iTunes est de 4/5, là où Super Mario Run culminait à 2/5) capable de garder ses joueurs captifs sur le long terme, et de continuer à faire vivre la marque Fire Emblem entre deux épisodes majeurs.

Une licence moins populaire

Super Mario est un des héros les plus populaires du monde : c’est le Mickey du jeu vidéo. Quant à Pokémon, c’est un phénomène générationnel, berçant depuis vingt ans des millions d’enfants, d’adolescents, et de jeunes adultes.

Fire Emblem ? Une série née sur la NES japonaise en 1990. Si elle a fait les beaux jours de la Super Famicom notamment, elle est depuis devenue une série un peu « niche » pour Nintendo, suivie seulement par ses fans les plus fidèles.

"Fire Emblem: Awakening", l’épisode de la renaissance. | Intelligent System

Le principe a pourtant assez peu varié en vingt-sept ans : il s’agit toujours de batailles où les joueurs, un peu à la manière des échecs, jouent chacun leur tour.

Chaque « pièce », souvent représentée par un héros, y a ses points forts, ses points faibles, ses attaques spéciales. Entre deux affrontements, les héros prennent du galon, développent des romances avec les autres personnages, et peuvent même mourir pour de bon en cas d’erreur, obligeant le joueur à revoir sa stratégie à long terme.

Un principe un peu pointu, à mi-chemin entre le jeu de rôle et Advance Wars (l’autre série de jeux de stratégie de Nintendo), en déclin depuis des années. Au point que l’épisode Awakening, sorti en 2013 en Occident, avait des allures de dernière chance.

Est-ce l’ambition narrative de ce volet ? Ou la popularité grandissante de ses héros, croisés par ailleurs dans la série à succès Super Smash Bros ? Toujours est-il qu’Awakening fut un carton, remettant Fire Emblem sur les rails. Trois autres titres sont déjà sortis depuis, et trois nouveaux jeux ont été annoncés, simultanément, par Nintendo le mois dernier.

Un succès qu’il convient de relativiser : si Awakening, le plus gros succès de la série, a frôlé les deux millions d’exemplaires vendus, les Super Mario franchissent généralement la barre des cinq millions, tandis que Pokémon s’écoulent rarement à moins de quinze millions.

Un type de jeu très japonais

Il y avait quelque chose d’universel dans Super Mario Run : un personnage qui court vers la droite de l’écran, une pression (hier sur un bouton, aujourd’hui sur l’écran) pour le faire sauter : c’est la recette des Super Mario Bros. depuis trente ans.

À vrai dire, pour ressentir le petit frisson de l’inconnu devant Super Mario Run, il fallait aller chercher du côté de son étrange modèle économique. En proposant une démo gratuite et un jeu complet payant, Super Mario Run a déçu les joueurs occidentaux, plus habitués aux jeux mobiles gratuits. Les joueurs japonais eux, ne lui ont même pas vraiment donné sa chance.

Fire Emblem Heroes, est à la fois beaucoup plus exotique pour les joueurs européens et américains, et bien plus rassurant pour les joueurs japonais. Il s’agit d’un « gacha », genre de jeu basé sur le hasard qui, pour capter leur attention (et leur argent), joue sur l’amour de la collection qui anime bien des joueurs.

L’aspect tactique de « Fire Emblem Heroes » est tout de même moins développé que dans les autres épisodes de la série. | Nintendo

Le cœur du jeu est quasiment le même que dans les épisodes « classiques » de la série : quatre héros affrontent, tour après tour, une troupe de héros ennemis. Chacun a ses caractéristiques, qu’il améliore mission après mission. Mais surtout, tous ces personnages bénéficient tous d’un style très marqué, d’une voix propre, d’affinités avec les autres personnages, et d’une histoire à part entière : cette écurie de plusieurs centaines de héros est effectivement tirée des castings pléthoriques des différents épisodes de la série.

Mission après mission, on accumule des « orbes », pierres précieuses que le joueur peut ensuite échanger contre de nouveaux héros, comme autant de Pokémon ou de vignettes Panini. Évidemment, impossible de les choisir : ils sont distribués au hasard. L’astuce : la chasse aux orbes est sévèrement ralentie par le fait que Fire Emblem Heroes impose au joueur des pauses de plusieurs heures… à moins qu’il ne soit prêt à payer.

Le nouveau jeu de Nintendo est avant tout destiné aux collectionneurs. | Nintendo

Le « gacha », avec ses personnages à collectionner au petit bonheur la chance, est donc une variante très japonaise du « free-to-play », ces jeux gratuits à télécharger mais qui peuvent très vite revenir très cher aux joueurs les plus accrocs. À titre d’exemple, pour 75 euros, le joueur peut acheter 140 orbes : juste de quoi acheter 35 héros - dont certainement un bon nombre de doublons.

Mais la recette séduit au Japon : d’après Yuji Nakamura, correspond de Bloomberg à Tokyo, le jeu bénéficierait là-bas d’un accueil aussi phénoménal qu’il est chez nous confidentiel. L’action Nintendo a gagné 5,9 % dès le lendemain de la sortie de Fire Emblem Heroes à la Bourse de Tokyo, alors que l’action de l’entreprise avait chuté après la sortie de Super Mario Run.