Manifestation contre le décret anti-immigration, devant le Brooklyn Borough Hall, à New York,  le 2  février. | Kathy Willens / AP

La justice américaine a gâché le début du premier week-end du président Donald Trump dans son complexe de Mar-a-Lago (Floride), vendredi 3 février. En début de soirée, un juge fédéral de l’Etat de Washington a en effet bloqué le décret anti-immigration signé le 27 janvier par le milliardaire, au grand dam de la Maison Blanche qui a promis une riposte.

Ce décret a pour objectif de geler provisoirement l’accès au territoire américain pour les ressortissants de six pays d’Afrique et du Moyen-Orient (Iran, Irak, Libye, Somalie, Soudan et Yémen), et durablement pour ceux de Syrie. L’administration souhaite profiter de cette période pour mettre en place des procédures de contrôle accrues pour les demandeurs de visa de ces pays considérés comme dangereux. Ce décret a également suspendu l’arrivée de réfugiés.

La décision de M. Trump et la soudaineté de son application ont suscité une vague de manifestations aux Etats-Unis. Parmi les dernières en date, le musée d’art moderne de New York, le MoMA, a protesté à sa manière en exposant des œuvres d’artistes soudanais, irakiens ou iraniens. Le décret a aussi entraîné des condamnations internationales, et alimenté l’accusation de mesures visant les musulmans, en dépit des vigoureuses dénégations de la Maison Blanche.

Exaspération à la Maison Blanche

Le juge James Robart, nommé par un président républicain, George W. Bush, a pris sa décision, qui s’étend à l’ensemble du territoire américain, pour permettre l’examen de la plainte déposée le 30 janvier par l’attorney general (ministre de la justice) de l’Etat de Washington, Bob Ferguson, un démocrate. Ce dernier estime en effet, à rebours de l’administration, que la mesure cible spécifiquement les ressortissants de confession musulmane et qu’elle est donc contraire à la Constitution qui interdit ce type de discrimination.

La réaction de la Maison Blanche a donné la mesure de l’exaspération suscitée par ce premier revers. Le service de presse de la présidence a publié un premier communiqué à 23 h 09 vendredi (5 h 09 samedi en France) dénonçant une décision « scandaleuse ». Il a renvoyé une version amendée du texte sept minutes plus tard, dans laquelle ce qualificatif avait été retiré, tout en assurant que le ministère de la justice allait intervenir au plus vite pour défendre une décision « juste et appropriée ».

Comme elle n’a cessé de le faire depuis une semaine, la Maison Blanche a rappelé que le décret controversé visait à assurer la sécurité des citoyens américains, même si les derniers attentats perpétrés aux Etats-Unis ont été commis par des personnes sans liens avec les pays visés. Cette justification est contestée par les détracteurs de la décision, qui estiment au contraire qu’elle donne des arguments aux groupes extrémistes, qui tentent de dépeindre les Etats-Unis comme étant en guerre contre l’islam.

« La Constitution a vaincu »

Au lendemain de l’attentat de San Bernardino (Californie), le 2 décembre 2015, perpétré par des citoyens américains d’origine pakistanaise, M. Trump, alors candidat à l’investiture républicaine pour la présidentielle, avait souhaité interdire l’accès du territoire aux musulmans. Devant le tollé suscité par sa proposition, que de nombreux républicains avaient jugée précisément inconstitutionnelle, il avait alors évoqué une interdiction visant des pays touchés par le terrorisme djihadiste.

Vendredi soir, M. Ferguson s’est félicité de la décision du juge Robart. « La Constitution a vaincu aujourd’hui. Personne n’est au-dessus de la loi, pas même le président », a-t-il estimé, tout en disant s’attendre à une farouche bataille juridique qui pourrait s’achever devant la Cour suprême. Dans la même journée, un juge fédéral de Boston (Massachusetts) avait pris une décision inverse. Le juge Nathaniel Gorton, également nommé par George W. Bush, avait fait valoir notamment que le décret signé par Donald Trump ne mentionne nulle part des « pays musulmans », refusant de prendre en compte les déclarations passées de M. Trump.

Depuis le 27 janvier, des juges fédéraux se sont attaqués avec succès à certaines conséquences du décret, en obtenant notamment que des personnes retenues dans des aéroports américains en dépit de titres de séjour légaux puissent finalement entrer aux États-Unis. Après avoir multiplié les signaux contradictoires, l’administration a exclu du champ d’application du décret les personnes disposant d’un titre de séjour permanent, ainsi que certains binationaux. Aucune décision n’a été rendue jusqu’à présent sur le fond.

Bataille de chiffres

Selon un sondage publié par CNN quelques heures avant la décision du juge de l’Etat de Washington, une majorité des personnes interrogées (53 %) s’opposent à la mesure. Une majorité comparable (55 %) considère par ailleurs cette mesure comme une interdiction visant les musulmans.

Au lendemain des premières manifestations, la Maison Blanche avait jugé les réactions exagérées en estimant que seules 109 personnes avaient été temporairement retenues dans des aéroports américains. Cette affirmation a entraîné une bataille de chiffres. Au cours de l’instruction d’une plainte déposée par deux Yéménites bloqués par le décret, un fonctionnaire du ministère de la justice interrogé par un tribunal d’Alexandria (Virginie) a indiqué que 100 000 visas avaient été révoqués dans le cadre de cette procédure. Le département d’Etat a contesté cette estimation en avançant le chiffre de 60 000 permis de séjour annulés, selon le Washington Post.

M. Trump a multiplié les décrets présidentiels (executive orders et presidential memoranda) depuis son arrivée à la Maison Blanche. Cette expression du pouvoir exécutif peut cependant être contrecarrée par le pouvoir judiciaire. En 2015, un juge fédéral du Texas, saisi par des Etats contrôlés par le Parti républicain, avait ainsi bloqué une décision du président Barack Obama de régulariser temporairement des millions de sans-papiers présents de longue date aux Etats-Unis. Ce gel s’était prolongé un an plus tard, la Cour suprême s’étant montrée incapable de trancher.