Le vendredi soir, Lynden Scourfield avait pris l’habitude de se rendre dans un appartement loué pour lui à Portman Square, un quartier chic du centre de Londres. Dans un tiroir, il trouvait une enveloppe marron remplie de billets de banques, déposée par un employé de son complice, David Mills. Dans le tiroir d’à côté, Viagra et sextoys étaient rangés. L’argent servait à payer les escort girls de la soirée. Parfois une, parfois deux.

Jeudi 2 février, l’ancienne vie de MM. Mills et Scourfield, qui passaient leur temps entre hôtels de luxe, voyages aux quatre coins de la planète et débauche, a dû leur paraître bien lointaine. Ils ont été condamnés par la cour de Southwark, à Londres, à respectivement quinze ans et onze ans et trois mois de prison. Quatre complices ont écopé de peines allant de trois ans et demi à dix ans de prison.

Le niveau de fraude pratiqué, finançant leur dispendieux train de vie, est d’une rare ampleur. Savoir combien les protagonistes ont détourné s’est révélé impossible, tellement le système mis en place était complexe, mais rien que M. Mills et sa femme ont reçu sur leurs différents comptes 28 millions de livres (32 millions d’euros) sur une période de quatre ans. La banque pour laquelle M. Scourfield travaillait, Halifax-Bank of Scotland (HBOS), a essuyé une perte de 245 millions de livres (283 millions d’euros) dans cette affaire. Les victimes ? Des petites entreprises en détresse financière, que les fraudeurs ont soigneusement dépouillées de leurs avoirs, laissant des gens à la vie ruinée.

Des PME prises à la gorge

Le début de l’escroquerie remonte à 2003. M. Scourfield est alors banquier pour HBOS à Reading, à une heure à l’ouest de Londres. Il s’occupe des entreprises en difficultés financières, en principe pour aider à les remettre à flot. En fait, il travaille en sous-main pour M. Mills, qui détient Quayside Corporate Services, une société de consultants spécialisés dans l’aide aux PME dans l’embarras.

Face à ses clients inquiets, le banquier de HBOS propose une solution : il leur accorde un financement supplémentaire, mais à condition qu’ils utilisent Quayside pour les aider dans leurs affaires. Rapidement, les PME se retrouvent prises à la gorge. Les honoraires imposés par Quayside sont exorbitants. Pire encore, HBOS leur prête beaucoup plus d’argent qu’elles n’en ont besoin, et les dettes s’accumulent. Accentuant la pression, M. Scourfield impose alors que M. Mills ou l’un de ses acolytes entrent au conseil d’administration de l’entreprise qu’ils sont censés secourir. Progressivement, ces derniers en prennent le contrôle et vendent ou détournent les actifs restant. Et si les PME résistent ? M. Mills envoie Michael Bancroft, son homme de main, qui n’hésite pas à jouer sur le registre de la menace.

Pots-de-vin et vie de pacha

En échange de son aide cruciale au sein de HBOS, M. Mills offre à M. Scourfield pots-de-vin et vie de pacha. Outre les enveloppes glissées dans le tiroir de l’appartement de Portman Square, le banquier reçoit des versements sur son compte en banque, d’autres sur une société écran et surtout il est abreuvé de cadeaux. Les deux hommes voyagent en famille – en classe affaires – à travers la planète, menant grand train : une semaine à Majorque, une croisière au large de Saint-Tropez, des séjours à Moscou, Bangkok, Las Vegas…

La fraude, majeure, a duré jusqu’en 2007. De façon incroyable, HBOS a mis quatre ans pour se rendre compte que son banquier de Reading lui faisait perdre des sommes colossales. Il a fallu l’arrivée d’un nouveau patron local pour découvrir le pot aux roses. Mais la banque a alors tout fait pour étouffer le scandale. Si M. Scourfield a été mis à la porte, la direction de l’époque a refusé d’écouter les plaintes des PME.

Il a fallu la bataille forcenée de deux petits patrons escroqués pour finalement la révéler. Ceux-ci ont pourtant longtemps fait face à un mur. La police estimait que la vraie victime dans cette affaire était HBOS, et comme celle-ci refusait de porter plainte, la situation était figée. Le régulateur financier a de même classé l’affaire sans suite.

Ce n’est qu’en 2010 que la police, sous la pression de deux anciens patrons de la banque, et dans une atmosphère différente, post-crise financière, décide finalement de rouvrir l’enquête, qui a mené au procès qui vient de s’achever.