Les journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme ont répondu aux questions des internautes après leurs nouvelles révélations sur l’affaire Fillon.

Mat : Comment avez-vous eu accès aux informations des auditions ? Ne s’agit-il pas d’un dossier en cours et donc soumis au secret judiciaire ?

Gérard Davet et Fabrice Lhomme : Comme nous le répétons souvent, et contrairement à ce que laisse croire une légende tenace, les journalistes ne sont en aucun cas tenu au secret de l’enquête ou au secret de l’instruction. Seules les parties prenantes aux investigations le sont (magistrats, policiers, greffiers, etc.).

Vincent : Vos révélations risquent-elles d’influer, ou d’infléchir, la « défense » de M. Fillon, ou pensez-vous que ce dernier n’ignorait pas que des journalistes auraient accès au compte-rendu des auditions ?

Nous ignorons ce que sait ou pas M. Fillon de nos investigations. En revanche, il est certain que les nouveaux éléments que nous publions aujourd’hui devraient être évoqués par M. Fillon lors de sa conférence de presse prévue ce lundi après-midi à 16 heures. Il est certain que ces nouvelles révélations ne lui sont guère favorables.

Alix : Un abandon des charges est-il encore possible ? Certains parlaient de la difficulté à poser les contours des missions d’un assistant parlementaire, cette difficulté pouvant jouer en la faveur du couple Fillon…

Il faut le rappeler aussi souvent que possible : toute personne visée par la justice est présumée innocente jusqu’au moment où elle est condamnée définitivement. Cela vaut d’autant plus pour M. Fillon que, en l’état, ce dernier n’est même pas poursuivi : il est l’objet d’une enquête très poussée, mais il est possible qu’au terme de ses investigations, le parquet national financier décide de classer l’affaire sans suite.

jakodorn : Peut-on considérer qu’en l’absence de preuves matérielles (agenda, compte-rendu, etc.) le délit d’emploi fictif est constitué ?

Excellente question ! C’est toute la difficulté de ce type d’enquête : établir que quelqu’un n’a pas travaillé n’est pas chose facile, d’autant que certaines missions peuvent ne pas donner lieu à la rédaction de notes et autres documents…

5de7 : Comment vous croire alors que vous participez au lynchage médiatique en cours ?

Nous ne participons à aucun « lynchage », mais nous intéressons à une affaire judiciaire devenue un scandale politique majeur, ce qui est notre mission première. Par ailleurs, il ne s’agit pas de nous « croire » puisque nous ne donnons pas notre avis sur cette affaire, mais révélons des éléments factuels incontestables. Libre à chacun ensuite de les interpréter bien entendu…

5de7 : Etes-vous mandatés par François Hollande ou son entourage dont vous êtes si proches ?

Non, nous ne sommes « mandatés » par François Hollande, dont nous ne sommes pas « proches », ni par personne du reste ! Nous enquêtons sur les affaires politico-financières avec à chaque fois la volonté de nous en tenir aux faits, sans parti pris aucun.

Nibelung : Fillon peut-il « contre-attaquer » de façon crédible comme il le dit, sans pour autant produire enfin des éléments factuels sur le travail de son épouse ?

Je suis assez d’accord avec vous : difficile pour M. Fillon de contre-attaquer s’il ne livre pas des éléments concrets à l’appui de sa défense. C’est sans doute ce qu’il compte faire cet après-midi lors de sa grande conférence de presse d’explication.

Esberit : Tout cela ne sent-il pas le renvoi devant un juge d’instruction ?

Il est en effet possible qu’au terme de ses investigations, qui ne devraient pas durer plus de quelques semaines, le parquet financier décide de confier le dossier à un juge d’instruction. Autres choix possibles : renvoyer directement M. Fillon devant le tribunal, ou au contraire classer l’affaire sans suite…

C : Pourquoi ces informations ne sont pas « sorties » avant que M. Fillon devienne premier ministre ?

C’est une bonne question, en effet. Peut-être que nous tous journalistes n’avons pas été assez curieux, en effet. En même temps, mieux vaut tard que jamais ! Et puis, en France, c’est l’élection présidentielle qui rythme la vie politique, et les médias s’intéressent beaucoup plus aux hommes politiques lorsqu’ils sont candidats à la magistrature suprême. Ce n’est pas une excuse, juste une explication.

Chris93 : Pensez-vous que M. Fillon fera tout pour se maintenir au risque de faire perdre son camp ?

Difficile de présumer comment va réagir M. Fillon à nos révélations. En tout cas, il n’était pas prévu qu’il annonce son forfait, c’est même tout l’inverse : il semble déterminé à faire front et à se maintenir coûte que coûte. Reste à savoir s’il pourra supporter les pressions judiciaires, politiques et médiatiques qui s’exercent sur lui…

MB : Qui pour remplacer Fillon en cas de retrait ?

Pour le moment, il semble que les hiérarques du parti Les Républicains n’aient tout simplement pas de plan B, ce qui explique leur immense embarras !

Justé : Y a-t-il eu une histoire similaire dans notre passé politique ? Comment cela s’est terminé ?

Oui, il y a déjà eu des affaires de ce type dans le passé. Par exemple l’affaire de financement occulte du RPR via la mairie de Paris et des entreprises privées, du temps de Jacques Chirac, qui avait abouti à la condamnation d’un certain Alain Juppé.

quickone : Les déclarations faites aux enquêteurs par M. Fillon concernant ses enfants – qui n’exerçaient pas la fonction pour laquelle ils étaient rétribués – seraient-elles suffisantes pour justifier une mise en examen ?

Pour le moment, aucun juge d’instruction n’ayant été désigné puisque c’est le parquet qui mène l’enquête, une mise en examen est juridiquement impossible. Mais le problème, pourrait se poser si une instruction était ouverte, sachant que ce serait alors au magistrat instructeur d’apprécier s’il existe ou non des charges suffisantes justifiant une mise en examen. M. Fillon peut aussi être renvoyé directement devant le tribunal si le parquet financier le juge nécessaire. Dans tous les cas, ce n’est pas à nous journalistes de juger coupable ou innocent qui que ce soit…