Pour incarner sa bande de jeunes désabusés, Andrea Arnold a choisi des comédiens amateurs, rejoints par quelques professionnels. | HOLLY HORNER

L’idée lui est venue il y a dix ans. En feuilletant le New York Times, la cinéaste britannique Andrea Arnold tombe sur un article évoquant les magazine crews, ces jeunes filles et garçons désœuvrés qui traversent l’Amérique pour vendre des abonnements à des magazines en faisant du porte-à-porte. Elle imagine un road-movie lancé au cœur de l’Americana profonde. Mais l’idée lui apparaît vite trop ambitieuse, et elle préfère se consacrer à un projet en Angleterre, le drame Fish Tank en 2009, suivi deux ans plus tard d’une adaptation du roman d’Emily Brontë, Les Hauts de Hurlevent, dont le tournage la laisse exténuée. « Après ce dernier film, j’avais besoin de changer d’univers, se souvient-elle. J’ai repensé à ces gamins qui parcourent l’Amérique pour vendre des journaux. Il y avait quelque chose dans cette histoire qui résonnait avec ma vie personnelle : j’ai été moi-même une adolescente vagabonde, un peu sauvage, aspirée par la route. » On est en 2013. Commence alors, pour la réalisatrice, un long et intense processus de recherche, au cours duquel prend forme un nouveau film, American Honey.

Un pays ravagé par les inégalités

Pendant près d’un an, elle multiplie les allers-retours entre Londres et les États-Unis afin d’écrire son script. Seule, en voiture, elle fréquente des magazine crews, et découvre un pays « en colère », ravagé par les inégalités économiques et sensible aux tentations populistes. Au cours de ses voyages, Andrea Arnold se met en quête de la troupe d’acteurs qu’elle veut en majorité « non professionnels ». Elle traverse l’Ohio, le Texas, la Virginie-Occidentale et la Floride. Caméra au poing, elle mène des castings sauvages sur les parkings des supermarchés Walmart, ces cœurs battants de l’Amérique paumée.

« American Honey » : parkings, motels et cannabis

Elle passe aussi des heures à traîner sur les plages de Panama City, où elle rencontre Sasha Lane, une étudiante venue se défoncer pendant le Spring Break, et qui deviendra l’actrice principale d’American Honey. Au fil de l’année, la cinéaste constitue une bande d’une dizaine d’amateurs, rejoints par des acteurs professionnels – Riley Keough, la petite-fille d’Elvis Presley, mais surtout Shia LaBeouf, qui se mêle immédiatement à la troupe. « Shia s’est installé dans un hôtel pourri avec les autres jeunes. Il a passé une nuit avec eux et, dès le lendemain, il était l’un des leurs », dit Andrea Arnold.

« Avec eux, j’ai découvert une jeunesse perdue, qui vient d’une couche négligée de la société. » Andrea Arnold, réalisatrice

Mai 2015. Le casting achevé, la cinéaste entraîne sa clique pour un tournage de sept semaines sur les routes américaines. Chaque jour, elle modifie le scénario en fonction de ses rencontres et des improvisations des amateurs. Les rôles se confondent avec leurs histoires, souvent tragiques. « Ils m’ont tout donné. Avec eux, j’ai découvert une jeunesse perdue, qui vient d’une couche négligée de la société, soupire Andrea Arnold. Ces jeunes sont issus de familles dysfonctionnelles, ils n’ont aucune perspective professionnelle, aucune croyance dans la politique. Et ils se réfugient dans la petite délinquance, l’alcool et les drogues comme la codéine. »

C’est aussi à son casting que la cinéaste doit sa découverte du trap, un courant mélancolique du hip-hop né dans le sud des États-Unis, que les acteurs ont écouté pendant toute la durée du tournage et qui a fini par composer l’essentiel de la superbe bande-son d’American Honey. L’hymne d’une jeunesse invisible, à laquelle Andrea Arnold rend un hommage fracassant.

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La bande-annonce

AMERICAN HONEY (2017) - Bande Annonce
Durée : 03:12

American Honey, d’Andrea Arnold, avec Sasha Lane, Shia LaBeouf. En salle le 8 février.