« L’Etat veut nous brigander ! », hurlent les quelque 200 manifestants réunis, ce mercredi 25 janvier, non loin de la Banque des dépôts du Trésor, à Abidjan. Ici, pas de mutins ni de fonctionnaires grévistes, mais une myriade de particuliers qui craignent de perdre l’argent qu’ils ont investi dans des sociétés dites d’agrobusiness. La veille, une manifestation similaire s’est tenue à Bouaké.

Ces investisseurs particuliers ne décolèrent pas depuis que le procureur de la République Richard Adou a ordonné, mi-janvier, le gel des comptes bancaires de 27 de ces structures, afin « de cerner tous les contours de ces opérations financières », selon un communiqué publié par le Trésor public le 23 janvier. Trois dirigeants de ces entreprises ont également été incarcérés.

Officiellement, certaines sociétés d’agrobusiness proposent aux particuliers d’acheter des parts dans des plantations « clefs en main », en échange d’un retour sur investissement (RSI) compris entre 300 % et 1000 % après 3 à 6 mois. Ces taux, que même Bernard Madoff n’a pas osé proposer, éveillent les suspicions de schéma de Ponzi, un montage financier illégal qui consiste à rémunérer les investissements des clients grâce aux dépôts des nouveaux épargnants.

Aubaine financière

« J’ai investi 40 millions de francs CFA dans ces structures depuis 2013 et jusqu’ici, j’ai touché mes RSI à chaque fois ! », fulmine Christian Libra, membre du bureau exécutif de l’association des souscripteurs d’agrobusiness en Côte d’Ivoire (ASA). Comme lui, elles sont très exactement 36 699 personnes, selon l’enquête menée par les autorités, à avoir placé leurs économies dans ces entreprises et à avoir touché – un temps – leurs RSI. Pour profiter de cette aubaine financière, certains ont emprunté aux banques, d’autres ont hypothéqué leur maison, ou collecté les économies de leurs familles et amis. « Plus de 12 000 corps habillés [personnes en uniforme] ont souscrit à ces agrobusiness. Ils vont sortir les armes s’ils perdent leur argent », prétend un souscripteur en colère.

A l’aide d’un rapide calcul, Christian Libra veut balayer l’hypothèse d’un schéma de Ponzi. « Prenons la tomate : sur un hectare, on peut en obtenir 20 tonnes, tous les trois mois, grâce aux nouvelles techniques agricoles. Le kilo de tomates valant 400 francs CFA, cela fait 8 millions de francs CFA de recettes par hectare par trimestre, contre un investissement de 1,8 million ! ». La présence de ces sociétés dans de nombreux pays européens apporte, selon lui, un autre gage de sérieux.

Mais une première étude, démarrée en septembre 2016 par les autorités suite à un signalement du Conseil national du crédit, parvient à des conclusions différentes : « Les comptes des structures enquêtées ne fonctionnent pas comme des comptes ordinaires d’entreprises », peut-on y lire. « Bien que certaines structures aient créé des plantations insignifiantes, les autres n’ont que des plantations virtuelles », a renchérit le procureur, lundi 23 janvier.

Promesses de rendement effarant

De fait, l’étude souligne que Monhevea.com, la plus connue des entreprises incriminées, « comptabilisait, entre 2015 et 2016, seulement 51 millions de francs CFA de marchandises exportées » ; un chiffre dérisoire comparé aux RSI que l’entreprise reverse. Et de conclure : « Ces structures utilisent le système de vente pyramidal dans la mesure où leurs chiffres d’affaires sont principalement composés des versements des souscripteurs ». Ce rapport a été jugé « faux, calomnieux et sans aucun fondement » par le SIIABCI, autre syndicat de souscripteurs d’agrobusiness.

Le porte-parole du gouvernement a pourtant enfoncé le clou fin janvier, affirmant que les 27 entreprises mises en cause disposaient, en tout, de 22,7 milliards de francs CFA sur leurs comptes, et devaient en verser 660 milliards à leurs souscripteurs qui ont investi 66 milliards de francs CFA.

L’affaire aurait pu en rester là si les souscripteurs avaient été victimes de leur seule naïveté. « L’Etat nous a laissés investir pendants des années, ces entreprises étaient connues ! », s’étrangle Olivier Yaraba Silue, membre du bureau de l’ASA. De fait, certaines sociétés comme Monhevea.com opèrent au grand jour depuis 2008. Depuis deux ans au moins, l’entreprise exhibe sur des panneaux géants ses promesses de rendement effarant et diffuse des spots sur la chaîne de télévision nationale. « D’où la question de savoir si l’Etat a été complice », conclu Christian Libra.

Une cabale

Parmi les manifestants devant la Banque des dépôts du Trésor, dans le quartier du Plateau à Abidjan, la thèse du complot est vivace. Ils suspectent une alliance entre les autorités et les banques pour confisquer la manne de l’agrobusiness, afin, disent-ils, de payer les soldats mutins. L’incarcération à la prison de la MACA, mi-janvier, du frère du directeur de Monhevea.com leur donne du grain à moudre. « Ils ont voulu le calomnier pour que les clients se retournent contre lui, mais nous on le soutient ! », explique un manifestant qui évoque aussi les banques qui ont abrité les comptes de ces structures et qui ne sont pas inquiétées.

« L’Etat est fautif d’avoir été trop laxiste », reconnaît un bon connaisseur du dossier qui a voulu rester anonyme. « Les rumeurs de complot excitent la colère de la foule et font pression sur l’Etat. Mais si les autorités dégèlent les comptes, l’argent et les preuves vont disparaître », poursuit-il. Dans un communiqué paru le 25 janvier, le gouvernement, sous pression, « invite les autorités judiciaires à accélérer les procédures en vue du remboursement des souscripteurs ».

« C’est un phénomène qui revient tous les cinq ans sous une forme différente et qui fait du mal aux populations », explique le directeur d’une grande banque de la place. Si le scandale des agrobusiness vient à peine d’éclater, d’autres arnaqueurs prospèrent déjà, à l’instar de la société MMM, déjà épinglée par la justice au Nigeria et en Afrique du Sud. MMM propose à Abidjan un retour sur investissement mensuel de 100 %, grâce à un schéma de Ponzi… en bitcoin, la crypto-monnaie ayant cours sur Internet. De quoi compliquer les prochaines enquêtes.

Crise dans l'agrobusiness, M Christophe Yapi s'exprime
Durée : 14:24
Images : Youtube / Monhevea.com

De son côté, dans une vidéo postée le 28 janvier sur YouTube et déjà visionnée des milliers de fois, Christophe Yapi, directeur général du groupe Agronomix SA, qui détient Monhevea.com, a dénoncé une cabale contre son entreprise. Il laisse entendre que la population est de son côté et qu’il pourrait se présenter à la prochaine élection présidentielle.

Cinq jours plus tard, le 2 février, les locaux de Monhevea.com ont été perquisitionné à Abidjan. Les Ivoiriens ont appris à cette occasion que Christophe Yapi avait quitté le pays et se trouvait en France.